Catastrophe annoncée

Une catastrophe annoncée : voilà ce à quoi ressemble le projet de mégahôpital l’Enfant-Jésus à Québec, si l’on se fie à l’analyse qu’en a faite un membre du cabinet du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, laquelle fut dévoilée dans les médias la semaine dernière (voir le site d’information ladose.ca). La note étoffée de l’attachée politique devrait allumer des feux rouges au gouvernement. Elle justifie au moins la tenue d’une commission parlementaire spéciale où le projet sera évalué ; sinon, le retour au projet initial, moins cher, très avancé, de la modernisation et l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu de Québec (HDQ).​
 

Il faut sans doute commencer à parler de « saga » pour les projets des hôpitaux de Québec. Comme dans l’expression « saga du CHUM », de son emplacement. Au début des années 2000, le gouvernement Bouchard avait tranché pour le 6000, Saint-Denis. Le gouvernement Charest a tout remis en question. Le rapport Johnson-Mulroney recommanda de le faire au centre-ville. L’UdM et son recteur Robert Lacroix plaidaient ardemment pour le site d’Outremont. Qui trancha ? Le ministre de la Santé Philippe Couillard, non sans avoir défié son premier ministre, Jean Charest.

À Québec, la bataille que se livrent les tenants de l’Enfant-Jésus et les partisans de l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu est presque aussi épique, même si elle fait moins de bruit en dehors de la capitale nationale. Encore une fois, Philippe Couillard devra trancher. Au début de cette saga, il en fut un acteur. En 2007, il annonçait que l’Hôtel-Dieu « berceau de la médecine en Amérique du Nord » « fondé par les Augustines en 1639 » serait agrandi et modernisé au coût de 400 millions. Le projet a évolué de 2005 à 2012, les coûts prévus ont augmenté. Mais en 2012, il était prêt à démarrer.

Le Parti québécois arriva au pouvoir. Malgré l’avancement du projet, il le remit en question. Souhaitant plaire à la clientèle caquiste de la région de Québec des banlieues, le gouvernement Marois a, en octobre 2013, fait l’erreur de stopper le projet de l’Hôtel-Dieu pour en lancer un autre, plus gros et coûteux encore, à l’Enfant-Jésus dans Limoilou. Le « Berceau de la médecine en Amérique du Nord » ? Abandonné. Il n’y resterait au mieux qu’une petite urgence. Le reste serait « reconstruit » ou cloné dans Limoilou. (Pauvre Vieux-Québec. On voudrait lui nuire qu’on ne s’y prendrait pas autrement : après son hôpital, on compte lui enlever son marché public ; une de ses dernières écoles primaires l’a déserté pour aller en banlieue, le Diamant de Robert Lepage et les nouvelles Casernes ne se feront pas… Et après on s’étonnera de l’omniprésence des magasins de t-shirts à touristes !)

Revenus au pouvoir, les libéraux, sans le dire publiquement, se sont mis à douter du projet de l’Enfant-Jésus. Des analyses ont été commandées par le ministre. Dévoilées dans les médias, elles l’ont mis mal à l’aise. Les coûts auraient doublé. De 1,7 milliard plus 300 millions pour l’HDQ, le projet « coûtera 3,2 milliards de dollars en plus des 515 millions nécessaires pour requalifier l’HDQ », peut-on lire dans la note.

Celle-ci regorge de formules alarmantes. La décision du gouvernement Marois ? « Virage précipité » aux « motivations nébuleuses ». Le futur Enfant-Jésus ? « Un hôpital plus gros que les CHU montréalais », plus gros que « 99 % des hôpitaux construits en Amérique du Nord depuis 1950 » ; un « scénario de regroupement qui n’a de parallèle nulle part au Québec ». Près de 70 % du budget servira à quoi ? À reconstruire à Limoilou ce qui existe à l’Hôtel-Dieu. Pour quel résultat ? « Le gain clinique net anticipé est […] très maigre […] alors que l’augmentation du ratio de chambres simples offrira un gain marginal dans l’incidence des infections nosocomiales tout en augmentant considérablement les coûts d’opération ». En somme, croit le cabinet de M. Barrette, l’hypothèse d’implantation « n’est pas viable ». Sans compter que le sol y est mou et marécageux, traversé par une rivière souterraine. Lors des premiers forages, on y est tombé sur une poche de gaz qui a brûlé pendant dix jours !

En 2005, pour régler la question de l’emplacement du CHUM, on avait tenu une commission parlementaire spéciale. « Pourquoi cette commission ? […] Il faut que les gens sachent exactement, quel que soit le projet qui va être autorisé, quels en sont les tenants et les aboutissants, et notamment la question des coûts », disait Philippe Couillard à l’époque. Justement, il faut tenir une commission parlementaire spéciale sur les projets hospitaliers à Québec. Les coûts en sont trop importants et l’analyse a été manifestement bâclée pour des raisons politiques. Le projet de l’Hôtel-Dieu était beaucoup plus avancé et, avec une réduction de sa taille, pourrait coûter quelque 1 milliard de dollars, être terminé plus rapidement et comporter plusieurs « gains » et avantages.

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