Un pas en arrière?
Le recours aux enfants travailleurs est en recul dans le monde, s’il faut en croire l’Organisation internationale du travail (OIT) qui évalue leur nombre à près de 170 millions, en baisse d’un tiers depuis le début des années 2000. Le recul est le plus grand chez les filles. Si la moitié de ces jeunes de 5 à 17 ans sont toujours engagés dans des activités jugées dangereuses pour leur santé et leur sécurité, il reste que le progrès est considérable.
D’où la perplexité face à une nouvelle loi adoptée en Bolivie en juillet, en vertu de laquelle l’âge minimal pour entrer sur le marché du travail a été abaissé à 10 ans. L’initiative a soulevé un grand débat dans le pays et a pris à rebrousse-poil les organisations de défense des droits de la personne, comme elle va à l’encontre du consensus international autour de l’âge minimal de travail fixé à 14 ans par l’ONU. Elle détonne d’autant plus qu’elle émane d’un gouvernement résolument de gauche, celui du président Evo Morales, qui a fait de gros efforts depuis son arrivée au pouvoir en 2005 pour utiliser la manne énergétique à des fins de lutte contre la pauvreté.
Il se trouve que la majorité des 800 000 enfants travailleurs en Bolivie ont moins de 14 ans. Dorénavant, ceux qui ont entre 10 et 12 ans pourront légalement travailler s’ils vont aussi à l’école, exercent un petit métier « indépendant » — comme vendre des fleurs dans la rue ou cirer les souliers — et ont la permission des parents. À partir de 12 ans, ils seront de plus autorisés à trouver de l’emploi chez un employeur. Dans tous les cas, le travail devra être autorisé par un fonctionnaire de la protection de l’enfance.
Le gouvernement défend l’idée qu’il vaut mieux encadrer que fermer les yeux sur cette réalité sociale. Il présente sa loi comme un axe de son plan d’éradication de la pauvreté extrême d’ici 2025. Il soutient à juste titre qu’il faut prendre en considération la spécificité de la Bolivie, pays dont la majorité de la population est amérindienne. « Nous ne faisons pas des lois pour les pays développés, nous en faisons pour les Boliviens », s’est défendu le député Javier Zavelata, l’un des promoteurs de la loi.
Reste que cette loi fait des nuances législatives qui risquent d’être difficiles à appliquer. En quoi, par ailleurs, contribue-t-elle à lutter contre le travail illégal des enfants dans le secteur minier ? Pourquoi ne pas avoir plutôt, puisque la lutte contre la pauvreté passe par les bancs d’école, amélioré les revenus des parents, en relevant le salaire minimum, par exemple ? En fait, le risque est grand que cette loi nuise à l’assiduité scolaire, comme elle invite, en la légalisant davantage, l’entrée des enfants sur le marché du travail.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.