Abolition?
Le cas de l’animateur Joël Legendre, qui a eu recours à une gestation pour autrui (GPA) qui fut remboursée par l’État, dépasse assurément la chronique du showbizness. Il nous fait comprendre au moins deux choses : d’abord que le programme québécois de procréation assistée a été conçu dans l’urgence et l’improvisation. Ensuite, que malgré les nombreux débats, la GPA tombe toujours dans un vide juridique intolérable.
Le nouveau ministre de la Santé Gaétan Barrette n’a pas eu à attendre longtemps avant d’être confronté à des questions délicates. Dès le lendemain de son assermentation, celle du cas de Joël Legendre et de sa GPA (qui lui donnera bientôt des jumelles) s’est imposée. Est-ce aux Québécois à payer pour cette fécondation in vitro ? Le ministre a reporté sa réponse, indiquant au passage qu’il avait (déjà) enjoint au Commissaire à la Santé Robert Salois de remettre au plus vite son rapport sur la question. Rapport qui avait été réclamé par l’ancien ministre Réjean Hébert, lequel estimait la loi en question « mal fagotée ».
Mais dans les premiers commentaires du ministre Barrette, jeudi, affleuraient les positions tranchées qu’il avait mises en avant lorsqu’il était président de la Fédération des médecins spécialistes : le programme a besoin de « balises », car l’argent public doit être bien géré.
Mais quelles « balises » ? Rien d’évident ici. Président de la FMSQ, M. Barrette n’hésitait pas à décrire le programme comme un « bar ouvert ». « Un homme qui veut un enfant avec sa maîtresse, on doit payer pour ça ? », demandait-il par exemple. Questionné au sujet des couples homosexuels, il précisait que ceux-ci « peuvent avoir des enfants, être d’excellents parents. Mais être homosexuel, ce n’est pas une maladie ». Ce critère semble aller de soi. C’est par le truchement d’une carte d’assurance « maladie » que le remboursement se fera. Mais certains soutiendront qu’il y aurait là iniquité à l’endroit des homosexuels. Est-il simplement possible de fixer ces fameuses balises ?
Depuis sa mise en place, le programme a peut-être permis de réduire le nombre de grossesses multiples liées aux FIV, ce qui représente certes des économies pour le système de santé. Mais la popularité du programme a conduit à l’explosion des coûts pour l’État. Vaut-il la peine de le conserver ? En 2008, lorsqu’il était ministre de la Santé, Philippe Couillard s’était farouchement opposé à sa création. En commission parlementaire (le 10 juin 2008), il soutenait que « gouverner, c’est faire des choix ». Sur le budget de la Santé qui représente quelque 30 milliards de dollars, le problème, ce n’est pas de « trouver » 20, 30, 40 millions ; le problème, « c’est à qui on ne le donnera pas ». Dans un contexte où le gouvernement souhaite cherche à réduire ses dépenses, ce programme, qui coûte aujourd’hui quelque 70 millions de dollars, semble représenter un luxe.
Quant aux mères porteuses, on a longtemps cru que le Code civil nous protégeait contre cette pratique, du moins contre les contrats établissant sa marchandisation. Mais dans un jugement complexe en 2010, la Cour suprême a fait prévaloir la loi fédérale, laquelle autorise le remboursement de dépenses aux mères porteuses…
La pratique pose d’énormes questions éthiques, surtout lorsque remboursée par l’État, comme dans le cas Legendre. La sociologue Céline Lafontaine en soulève quelques-unes troublantes dans notre rubrique « Libre opinion ». La juriste française Muriel Fabre-Magnan soutient qu’une « GPA éthique » est carrément impossible. Vaut-il la peine de l’encadrer ? Chose certaine, ce ne sont pas là que des questions pour nos médecins au pouvoir. Des juristes devront trancher.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.