Miroir aux alouettes?

La première ministre Pauline Marois a donné le feu vert à l’exploration pétrolière à l’île d’Anticosti. La présence d’un immense gisement fait rêver plus d’un politicien qui voit déjà les coffres du gouvernement se remplir. Mais attention, ce pourrait n’être qu’un miroir aux alouettes.

Le Québec serait fou, il est vrai, de passer à côté du pactole de redevances de 45 milliards de dollars à tirer de l’exploitation de l’énergie fossile contenue dans le sous-sol d’Anticosti qu’évoquait cette semaine Mme Marois. On a tant parlé de ce pétrole et de l’erreur d’Hydro-Québec de se départir de ses droits d’exploration sur ce territoire au profit d’entreprises privées qu’il est bon de savoir s’il y a du pétrole et si on peut l’exploiter.

 

Que l’on investisse 115 millions de dollars pour le savoir représente toutefois une prise de risque, qui n’est rien d’autre qu’un immense pari. S’il est gagnant, on s’en félicitera, car toute l’économie québécoise en profitera. La démonstration faite par les signataires du récent Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole est imparable. Redevances, indépendance énergétique, balance commerciale favorable, tout ça sera aux Québécois. Mais souvenons-nous de la fable de La Fontaine La laitière et le pot au lait, où Perrette rêve à tout ce qu’elle fera avec l’argent de son pot de lait, jusqu’à ce qu’il se brise.

 

Il y a un consensus entre les principaux partis politiques quant à l’opportunité de faire l’exploitation du pétrole dans le sous-sol québécois. On trouvait parmi les signataires du manifeste déjà cité des personnalités liées au Parti libéral, comme Monique Jérôme-Forget, et au Parti québécois, comme Bernard Landry, d’autres du milieu des affaires, comme Françoise Bertrand, de la Fédération des chambres de commerce. Tout ce monde se réjouira de la décision du gouvernement, quoique certains regretteront qu’il l’ait annoncée à la veille du déclenchement des élections.

 

Il est évident que le Parti québécois veut faire rêver les électeurs avec ce pactole de 45 milliards. Il jouera aussi de cette corde sensible pour bien des Québécois qu’est la réappropriation des richesses naturelles. Les 115 millions investis ne seront pas lancés en l’air, en ce sens qu’ils financent des prises de participation dans les entreprises partenaires, si bien qu’en fin de compte, le Québec pourrait retirer jusqu’à 60 % des bénéfices de l’exploitation. On retrouve là l’esprit des revendications du mouvement Maîtres chez nous au XXIe siècle qu’avait créé en 2005 le député péquiste Daniel Breton.

 

La réalité est tout autre. Le pétrole d’Anticosti est du pétrole de schiste qui exige de la fracturation. Entre 15 et 18 puits seront forés cet été et, si les résultats sont positifs, trois autres le seront en 2015, avec fracturation dans ce cas. On saura alors si le pétrole qui est présent dans la roche de schiste est exploitable et, le cas échéant, en quelles quantités et à quels coûts.

 

Le processus d’exploitation sera très coûteux, car il faut multiplier par milliers les puits de forage. Dans la meilleure des hypothèses, on pourrait récupérer 5 % de ce pétrole. L’expérience des États américains du Dakota du Nord et de l’Ohio indique plutôt 1 ou 2 %, ce qui représenterait des quantités énormes, mais dont l’exploitation pourrait s’avérer peu ou pas du tout rentable. Il ne faudra pas tout croire ce qu’on nous dira.

 

Dans deux ans, on aura une idée plus précise de la rentabilité du projet qui, pour être juste, devra prendre en compte, en plus des aspects financiers, la question environnementale. Que restera-t-il de l’île d’Anticosti une fois les pétroliers partis ? Un territoire ravagé ? Il y aura des impacts importants, c’est certain. Que veut-on pour ce bijou environnemental ? Posons la question dès maintenant.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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