Le déni de l’Église

Mercredi, l’ONU a créé la surprise en déclinant tous les mots de la sévérité pour décrire la gestion du dossier pédophilie par le Vatican. Plutôt que de prendre la hauteur que commande un fléau qui a fracassé des milliers de vies, le Saint-Siège a eu une réaction quelque peu provocante : l’ONU fait de l’ingérence.

Le moins que l’on puisse noter est que les auteurs du rapport portant le sigle du comité des Nations unies sur les droits de l’enfant (CRC) n’ont pas fait dans la dentelle pour décrire les agissements du Vatican. La somme de ces derniers se conjuguant avec l’abject, il n’y a pas d’autre mot, la présidente du CRC, Kristen Sandberg, a exigé le « renvoi immédiat » de tous les ecclésiastiques coupables d’agressions sur des enfants. Le CRC est même allé jusqu’à demander le renvoi des individus soupçonnés d’un certain nombre d’actes. Soupçonnés… C’est dire combien la volonté de punir habite le CRC.

 

Le sentiment de révolte qui rythme le rapport « onusien » est le reflet de la réalité suivante : le Saint-Siège a capitalisé pendant des décennies sur le statut juridique que lui confère sa qualité d’État pour mieux étendre l’impunité aux quatre coins de la planète. Ce faisant, des milliers d’hommes d’Église ont violé des milliers et des milliers de gamins. L’énormité du phénomène fut telle que le CRC demande au Vatican que les pédophiles soient déférés devant les autorités juridiques des pays. Non seulement ça, le CRC voudrait que le Saint-Siège communique les archives compilées au fil des années afin que les coupables rendent enfin des comptes. Car…

 

Car l’inventaire des sévices s’avère au fond la définition de l’énormité et de la dépossession de l’identité. À preuve, les chiffres suivants : en 2004, une enquête aux États-Unis a révélé qu’entre 1950 et 2002, 11 000 enfants avaient été victimes de 4400 prêtres ; en Irlande, 14 500 gamins ont été soumis aux désirs de curés qui, selon un rapport d’Amnesty International publié l’automne dernier, ont posé des actes à ranger sous la rubrique torture ; au Canada, en Belgique, en Australie, en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne, en Allemagne et dans tous les ailleurs du catholicisme, la règle du motus et bouche cousue a été observée par tous les évêchés afin de préserver les intérêts de l’Église, dont sa réputation, aux dépens de ceux des enfants. La règle en question était observée notamment comme suit : le pédophile était transféré d’un pays à un autre. Bref, pour dire les choses comme elles ont été, l’Église a orchestré la valse géographique des malfaisants de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à aujourd’hui.

 

Pour se défendre, le Vatican avance ce qu’il avançait hier. À savoir que ce qui se passe au Saint-Siège relève du Saint-Siège. Quoi d’autre ? Il revient aux autorités locales de juger et de punir le fautif, et non au Vatican. Plus exactement, lors d’une rencontre récente entre les représentants du CRC et des mandarins de l’Église, un de ces derniers avait souligné que « le suivi des cas individuels est laissé aux églises locales, car c’est là où se trouve le problème. »

 

La position adoptée par le Saint-Siège pour se défendre a ceci de très agaçant, pour rester pondéré, qu’elle est une injure. À qui, à quoi ? À ceux qui ont signé en 1989 la Convention internationale des droits de l’enfant et ses protocoles sur lesquels le Vatican lui-même a apposé sa signature. De fait, ce dernier, en tant que pouvoir suprême de l’Église, avait l’obligation de s’assurer que tous les individus et toutes les institutions sous son autorité respectaient les articles de la Convention.

 

Il est tout de même curieux, c’est le moins qu’on puisse dire, de souligner qu’une institution transfrontalière qui se prétend huissier de la vérité absolue se complaise dans le déni de réalité. Tu ne mentiras point…

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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