QS et le lobbyisme - La tentation de la prohibition

Plusieurs critiques du lobbyisme formulées par le député de Québec solidaire Amir Khadir lundi font mouche. Mais il y a dans son discours une tentation de la prohibition d’une activité de toute manière consubstantielle à la politique.

En produisant une enquête approfondie sur le lobbying au Québec, Amir Khadir et Québec solidaire (QS) ont encore une fois démontré leur raison d’être. C’est ce que les partis d’opposition, aussi petits fussent-ils, devraient faire plus souvent : fouiller une question en profondeur ; faire des recoupements d’informations ; amener un nouvel éclairage sur un sujet à partir de ce traitement d’information ; formuler des recommandations.

QS s’était déjà distingué en 2010 en mettant au jour des comportements de prête-noms au sein des firmes de génie-conseil, dont les employés (presque) sans exception — même les plus humbles — contribuaient généreusement à une ou à plusieurs des formations politiques. Ce fut, de la part du jeune parti, une dénonciation essentielle de la collusion et de la corruption. Ses trouvailles ont depuis été confirmées et approfondies non seulement par le Directeur général des élections (qui fut fouetté par l’efficacité de QS), mais aussi par les policiers de l’Unité permanente anticorruption et les procureurs de la commission Charbonneau.

Souhaitons que l’enquête ambitieuse de QS sur le phénomène du lobbyisme pique de même manière le ministre responsable, Bernard Drainville, auto-englué dans le débat sur la « charte » au point d’avoir repoussé encore une fois d’une saison la nécessaire révision de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, adoptée dans la précipitation en 2002.

La dernière enquête de QS ne semble toutefois pas avoir débouché sur des révélations aussi fortes que celles sur les prête-noms. Entre autres parce que la loi, en son article 1, reconnaît « que le lobbyisme constitue un moyen légitime d’accès aux institutions parlementaires, gouvernementales et municipales et qu’il est dans l’intérêt du public que ce dernier puisse savoir qui cherche à exercer une influence auprès de ces institutions ».

Or, lundi, M. Khadir a soutenu non seulement qu’il fallait resserrer les règles, mais aussi que l’objectif, en bout de course, devait être plus ambitieux : « Un jour, on doit en arriver avec un système où on n’a pas besoin de lobbyisme d’affaires. »

Le lobbyisme doit être fait dans la transparence. La loi a amélioré les choses, mais, selon ce que des professionnels du secteur ont confié au Devoir, quelque 70 % des activités d’influence échapperaient encore au radar du commissaire. Troublant et risqué. QS a raison de s’étonner par exemple de la « faible représentation au registre du secteur des services informatiques » alors qu’il représente un demi-milliard de dollars de contrats par année. QS a aussi raison de dénoncer le phénomène des « portes tournantes » par lesquelles d’anciens employés de cabinet, fonctionnaires et élus « sautent la clôture » dès qu’ils quittent leur emploi. M. Khadir se montre simpliste lorsqu’il affirme que des gens « achètent littéralement des décisions publiques ». Il est peut-être naïf de le dire, mais le lobbyisme n’est pas toujours un mal : les titulaires de charge publique y reçoivent une information précise. Comme l’Association québécoise des lobbyistes le précisait hier, cela permet aux élus de prendre des décisions plus éclairées. QS et M. Khadir préféreront continuer à dire que c’est toujours un mal. Peut-être, mais il est nécessaire… et de toute façon inévitable. Mieux vaut tenter de le réglementer le mieux possible que de le prohiber, ce qui aurait au demeurant un effet pire : livrer entièrement cette activité au monde des ombres, des manipulations occultes.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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