Négociations israélo-palestiniennes - Le piège
Pour la énième fois, l’administration américaine a rassemblé Israéliens et Palestiniens autour de la table dite de négociations. Pour la énième fois, les Israéliens ont mis en relief leur mauvaise volonté en ordonnant la construction de colonies. Pour la énième fois, le Hamas, qui n’a pas été invité à la table en question, a martelé qu’il ne reconnaîtrait pas l’accord de paix si accord il y a. Au vu du passé, que l’on sait très chargé, c’est à se demander si l’on ne vient pas de donner le tempo à la énième valse des faux-fuyants.
Aucun dossier, aucun sujet, ne commande d’abord et avant tout un inventaire des faits et gestes posés au fil du temps, le temps long, très long, qui distingue le conflit israélo-palestinien. Car l’inventaire en question est si volumineux qu’il explique la fatigue et le scepticisme observés ces jours-ci aux quatre coins de la planète, à l’exception évidemment des pays concernés au premier chef par les pourparlers. Allons-y.
En novembre 1967, la résolution 242 consacrait l’échange de terres contre la sécurité. En 1978, sous l’impulsion du président Jimmy Carter, une entente intitulée « A Framework for Peace in the Middle East » reconnaissait le droit des Palestiniens à l’auto-gouvernance. En 1991, la conférence de Madrid ouvrait la voie à la paix entre Israël et la Jordanie et à des discussions secrètes avec les Palestiniens. En 1993, ces dernières accouchaient de l’entente d’Oslo. En 1995, il y eut l’échec de Taba. En 1998, celui de Wye River. En 1999, celui de Charm el-Cheikh. En l’an 2000, Bill Clinton s’acharna, en vain, à creuser un terrain d’entente à Camp David. En 2002, il y eut l’initiative de paix formulée par l’Arabie saoudite et dévoilée lors d’un sommet à Beyrouth. En 2003, il y eut la confection d’une feuille de route composée essentiellement par le sénateur George Mitchell et administrée par les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations unies. Toujours en 2003, il y eut l’Accord de Genève. En 2007, il y eut la conférence d’Annapolis. En 2010, celle de Washington qui s’acheva lorsque les Israéliens entamèrent la construction de colonies. Quoi d’autre ? En novembre 2007, George Bush formula l’engagement suivant : dans un an, il y aura un État palestinien. Six ans plus tard, les Palestiniens attendent encore. Pire, ils ont assisté à la perforation de leur territoire par des enclaves habitées par des Israéliens.
Les colonies… On sait qu’en Cisjordanie, un chapelet de constructions abrite désormais 350 000 Israéliens. On sait moins qu’à Jérusalem-Est, ils sont 250 000 qui, par béton interposé, forment un cordon dont la géographie s’avère la contradiction de l’innocence, de l’improvisation. Dit autrement, la géographie en question est le révélateur d’une politique dont la finalité est de rendre impossible la qualification de Jérusalem-Est comme capitale d’un État palestinien. Ce n’est pas tout. Les blocs de colonies implantées à Bethléem et à Ramallah sont si bien protégés que leur possible démantèlement est lui également jugé inextricable. D’autant que… d’autant que leur poids dans l’armée est considéré comme considérable.
Cela paraîtra étrange de prime abord, mais ces colonies ont produit un effet possiblement pervers pour le gouvernement israélien. De quoi s’agit-il ? En Cisjordanie, mais non dans la bande de Gaza, des personnalités en vue, dont Sari Nusseibeh, recteur de l’université Al-Qods dans Jérusalem-Est, militent désormais pour l’idée suivante : puisqu’au fond du fond la réalité est que la classe politique israélienne n’admettra jamais l’existence d’un État palestinien on devrait leur proposer de vivre sous le même toit et donc de leur demander ce qu’on demande dans ces cas-là, soit le droit de… vote ! Et comme les Palestiniens sont plus nombreux…
Au sein même de la coalition dirigée par le premier ministre Benjamin Nétanyahou, cette position a eu un écho aussi puissant que remarqué : le ministre des Finances, Yair Lapid, s’est opposé et entend s’opposer avec fermeté aux colonies annoncées ces jours-ci. Pour lui, la perspective d’un État binational porte en germe un piège redoutable : si rien n’est fait, Israël sera la copie carbone de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Pour Lapid et pour d’autres, il est clair comme de l’eau de roche qu’accorder le droit de vote aux Palestiniens citoyens d’un État binational revient à signer l’arrêt de mort d’Israël, la mort du sionisme.
Peut-être bien qu’Israël est le chef-lieu de la mosaïque des failles politiques, des brèches idéologiques qui rythment un seul et même gouvernement.