Lac-Mégantic - Touchée au coeur
L’impensable est arrivé à Lac-Mégantic. L’explosion du convoi ferroviaire de la Montreal, Maine Atlantic Railway en plein centre-ville ne devait jamais se produire. Les questions qui aujourd’hui se posent sont innombrables. Il faudra tirer des leçons des réponses qu’on leur apportera.
À l’échelle de cette municipalité de 6000 habitants, la tragédie qui frappe Lac-Mégantic est immense. Pour cette communauté tissée serré, il n’est pas exagéré de croire qu’en proportion, elle se compare à celle qui a frappé New York le 11 septembre 2001, l’aspect politique en moins. Mégantic est touchée au coeur, dévastée tant sur le plan individuel que collectif. Le temps est suspendu pour toutes les familles touchées par la disparition d’êtres chers et d’amis. La vie reprendra son cours, car le courage prend toujours le dessus sur le désespoir.
Soixante-douze heures après que cette bombe sur roues l’a frappée, Lac-Mégantic n’en est pas à vivre son deuil. Elle n’y est pas prête. Les familles en attente de l’identification des disparus se préparent au pire. L’incompréhension persiste. Même si on commence à saisir ce qui a enclenché ce scénario apocalyptique, la question est pourquoi Lac-Mégantic. Pourquoi le sort s’est-il abattu sur cette municipalité, alors qu’il y a des centaines d’autres villages et villes de toutes tailles à travers le Québec, le Canada et les États-Unis qui sont traversées par des trains de wagons de pétrole brut ? Les citoyens de Mégantic ont droit à des explications.
Les questions qui se posent sur les causes de ce déraillement sont multiples. Il y a d’abord celles qui ont trait aux circonstances immédiates, à savoir l’élément déclencheur qui, selon toute vraisemblance, aurait été le relâchement des freins pendant que le train était en arrêt à Nantes. Il s’est alors mis en marche, sans conducteur, emporté par la déclivité de la voie qui, sur une distance de 10 km, était de près de 160 mètres. L’enquête du Bureau de sécurité dans les transports dira s’il y a eu simple bris mécanique ou négligence du conducteur.
Il faudra pousser plus loin l’enquête que sur strictement les événements qui se sont produits dans la nuit de vendredi à samedi. Sont à examiner les pratiques de la compagnie MMA pour l’opération des transports de pétrole et ses politiques au chapitre de la sécurité. On pense en particulier à la présence d’un seul employé à bord de ce train laissé par ailleurs sans aucune surveillance pendant de longues heures lors du changement de quart de travail. Des questions doivent aussi être posées au ministère fédéral des Transports sur les règles imposées pour le transport du pétrole brut, qui a pris une ampleur considérable, ces cinq dernières années, avec l’exploitation de puits dans des régions dépourvues de pipelines. Cette année, 140 000 wagons chargés de pétrole circuleront à travers le Canada.
Cet accident donnera des arguments aux promoteurs de la construction d’un oléoduc entre Montréal et Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, siège de la raffinerie Irving où se dirigeait le train de la MMA. Les compagnies ferroviaires, qui trouvent dans ce transport une manne, continueront de prétendre que le train est aussi sécuritaire, sauf lorsqu’il est confié à des cowboys comme semble l’être la MMA. D’emblée, le pipeline, s’il n’est pas à l’épreuve des accidents, tant s’en faut, apparaît moins dangereux. Du moins évite-t-il généralement les zones densément peuplées, contrairement au train. Sauf qu’il n’y a pas encore d’oléoduc reliant Montréal et Saint-Jean, et qu’entre-temps, la raffinerie Irving voudra continuer de recevoir le pétrole qui lui vient de l’Ouest par train. Par où transitera-t-il désormais ? Chose certaine, le transit par Lac-Mégantic est condamné pour de très longs mois et, s’il n’en tient qu’à ses citoyens, il le sera pour toujours.