Construction - Négos sous influence
Si les négociations n’aboutissent pas d’ici lundi, les chantiers de construction du Québec pourraient être paralysés par un lockout ou une grève des 175 000 syndiqués. Le temps presse et les parties le savent. Ce qu’on sait moins chez les travailleurs, et qui importe aussi, c’est le rôle que peut jouer la corruption au plus haut niveau dans ces relations de travail.
Disons-le clairement : la démocratie est une vue de l’esprit au sein des grands syndicats de la construction. Les dirigeants y sont élus par la force des bras et confondent souvent leurs intérêts personnels et ceux de leurs commettants dans les rapports avec les entrepreneurs.
La commission Charbonneau n’a pas encore étudié le volet syndical, mais nous savons déjà que plusieurs individus ayant des liens avec le crime organisé sont actifs dans le monde de la construction.
Directeur général de la FTQ-Construction pendant onze ans, Jocelyn Dupuis subira bientôt son procès pour fraude envers son propre syndicat. Le nom de Dupuis a été mentionné par l’entrepreneur Giuseppe Borsellino devant la commission Charbonneau pour avoir profité de ses faveurs. On connaît aussi ses liens avec des membres du crime organisé qui seraient intervenus pour faciliter l’élection de son successeur, Richard Goyette, cet autre heureux bénéficiaire des cadeaux de Borsellino.
Un autre dirigeant de la FTQ-Construction, Jean Lavallée, a avoué avoir séjourné à plusieurs reprises sur le yacht de l’entrepreneur Tony Accurso en plus d’avoir profité d’un luxueux voyage en Allemagne, sans y voir de conflit d’intérêts.
Plus récemment, c’était au tour de président du Conseil provincial des métiers de la construction, Donald Fortin, de faire l’objet d’allégations troublantes. Selon une enquête de TVA, Fortin se serait fait construire une maison de trois quarts de million, dont une partie des matériaux et de la main-d’oeuvre aurait été fournie gratuitement par des entrepreneurs. À la suite de ces révélations, la ministre du Travail, Agnès Maltais, a suspendu Fortin de ses fonctions au conseil de la Commission de la construction, mais il dirige toujours le syndicat.
Du côté des entrepreneurs, le portrait est au moins aussi navrant, comme les travaux de la commission ont permis de le confirmer. Si on est capable de corrompre des politiciens et des fonctionnaires, imaginons ce qui peut se passer dans les coulisses de ces rondes de négociations aux enjeux milliardaires !
C’est donc dans un tel contexte de putréfaction avancée que se joue présentement le sort des travailleurs actifs sur tous les grands chantiers publics et privés du Québec.
Deux fois au cours des dernières semaines, on a dû fermer celui du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) à cause d’un appel à la bombe. Y a-t-il un lien ? On n’en sait rien. Ce qui est plus certain, c’est que lundi prochain, si la grève éclate, nous assisterons au classique « vidage » des chantiers à la manière des Teamsters de Jimmy Hoffa, le plus grand bandit de l’histoire du syndicalisme américain.
Quant au fond du litige, inutile de tenter de départager les demandes des uns et des autres, puisqu’il s’agit d’un grand bluff. La seule chose qu’on puisse souhaiter, c’est que tous ces gens malhonnêtes à la tête d’une industrie aussi importante jugent plus stratégique de se faire oublier en signant rapidement le contrat de travail raisonnable souhaité par les travailleurs de l’industrie et tous les Québécois.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.