Après les commémorations de 1812 - Pourquoi pas 1763?
Pour stimuler la « fierté d’être citoyen du Canada », Stephen Harper a choisi de faire mousser quelques commémorations pour les années qui viennent. Le premier ministre l’a annoncé à son caucus, à la fin du mois dernier. On continuera, jusqu’en 2015, de se souvenir de 1812 et de ses suites. S’ajouteront, en 2014, le 100e de la Première Guerre mondiale et, l’année suivante, le 200e de la naissance du premier ministre conservateur John A. Macdonald. Le 150e anniversaire de la Confédération couronnera le tout en 2017. Des rendez-vous bien britanniques et conservateurs, on en conviendra.
Certes, à l’époque où règne un présentisme débridé, où tous les personnages publics doivent jurer qu’ils sont « tournés vers l’avenir », on pourrait être rassuré que le gouvernement fédéral ose jeter ses regards vers l’arrière. Tocqueville a bien formulé ce besoin : « Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. » On a envie d’encourager les politiciens à chercher, dans leurs discours, un sens à l’aventure commune de la nation. Aux États-Unis, Barack Obama l’a fait de manière magistrale en 2008 et en 2012.
Mais les politiciens, et surtout les gouvernements, peuvent difficilement être de bons historiens. Il est si tentant pour eux d’instrumentaliser la mémoire, d’échafauder des récits simples justifiant une cause, un projet. Depuis un an, l’offensive du gouvernement Harper au sujet de la guerre de 1812 en est une illustration grossière. Elle se situe dans un grand dessein avoué visant à remodeler l’ethos canadien. L’objectif : une sorte de grand retour à l’« Amérique du Nord britannique », bancal sur le plan historique et sans aucune résonance dans la mémoire pancanadienne, notamment au Québec.
Cette obsession harperienne a peut-être des vertus insoupçonnées : elle donne envie de vérifier, de se replonger dans nos origines, de critiquer la pravda de la version officielle. Et elle attire l’attention sur ces autres grandes dates qu’il aurait été intéressant de redécouvrir. Justement : que se passait-il, il y a 250 ans ? Dans le grand échiquier planétaire, des empires s’entendaient pour signer un traité, à Paris, où le Canada cessait d’être un territoire conquis pour devenir une véritable colonie britannique.
Contrairement à l’interprétation du gouvernement Harper, 1812 n’a rien d’un moment fondateur du Canada, ont affirmé des historiens comme Donald Fyson. 1763, oui ! Denis Vaugeois explique même dans notre page Idées que ce traité est peut-être « le plus important de notre histoire » ! Jean-Pierre Gendreau-Hétu note que, si la commémoration de la bataille des plaines d’Abraham a soulevé les passions en 2009, « ne devrait-on pas à plus forte raison commémorer le traité de Paris qui a mis fin à la guerre de Sept Ans » ? Alors, qu’attendons-nous ? Après tout, 1763 est aussi l’année de la Proclamation royale, faite en octobre, chape de plomb pour les Canadiens français qu’heureusement l’Acte de Québec de 1774 amoindrira. Eh bien, voilà un autre bel anniversaire pour 2014 !