Fiscalité - La réflexion s’impose
Même si la présentation de son premier budget n’aura lieu qu’au printemps, le gouvernement du Parti québécois doit préparer l’opinion publique pour obtenir l’appui de l’un des deux partis d’opposition. Or, certains changements prévus à la fiscalité exigent qu’on en évalue l’impact avant d’agir.
François Legault avait raison : entre 2003 et 2010, le Québec est passé du quatrième au neuvième rang des provinces canadiennes au chapitre du revenu disponible par habitant (revenu après impôts et transferts aux particuliers).
En fait, seule la catégorie des contribuables les plus pauvres a vu sa situation relative s’améliorer grâce à un État plus généreux même sous un gouvernement libéral. Comme le fiscaliste Luc Godbout l’a démontré, une famille de quatre personnes sans aucun revenu de travail reçoit aujourd’hui 25 400 $ des deux gouvernements, soit 55 % de plus qu’il y a dix ans. Quant à l’écart entre les riches et les pauvres, il a rétréci contrairement au reste du continent, et c’est tant mieux !
La question qui se pose maintenant est de savoir si on a raison de vouloir transférer plus d’un milliard supplémentaire d’impôts des uns vers les autres ?
Rappelons que les contribuables visés par le Parti québécois sont ceux qui gagnent plus de 130 000 $, mais aussi ceux qui reçoivent une partie de leurs revenus sous forme de dividendes ou de gains en capital. En visant ces catégories de revenus, le PQ double la mise puisque, par exemple, un particulier qui vend son chalet verra son revenu total grimper au-delà du nouveau seuil de 130 000 $ cette année-là à cause de la plus-value, laquelle sera elle-même taxée davantage à titre de gain en capital. Du coup, il devra payer de l’impôt sur des gains dont une large portion ne faisait que couvrir l’inflation cumulée au fil des ans.
Au Québec, moins de 3 % des contribuables gagnent plus de 130 000 $, mais ils paient déjà le tiers de tous les impôts provinciaux.
Quant aux contribuables qui déclarent des revenus de dividendes et de gains en capital, bon nombre sont des ménages de la classe moyenne qui vendent le chalet familial une fois dans leur vie, ou des retraités qui ont dû investir dans des fonds de placement hors REER faute de bénéficier d’un régime de retraite de leur ancien employeur.
Ce projet de réforme qui semble progressiste au premier abord n’a malheureusement jamais fait l’objet d’une étude d’impact sérieuse. Qui a intérêt à travailler davantage au taux marginal d’imposition supérieur à 50 % ? Quel sera le gain net pour l’État une fois pris en compte le travail au noir et l’évitement fiscal des vrais riches ? N’est-ce pas contradictoire d’inciter les Québécois à investir dans les entreprises tout en les taxant beaucoup plus qu’ailleurs au pays ? Pourquoi abolir la contribution santé au lieu d’y greffer un facteur de progressivité, comme en Ontario ?
Dans le cas des entreprises, le seul changement d’importance qui est proposé vise les sociétés minières. Or, qu’est-ce qui prouve que la formule de redevances empruntée à des groupes de pression est la meilleure pour le Québec ? N’est-ce pas la même Mme Marois qui a déjà réduit les redevances pour stimuler l’emploi ?
En 2010, le gouvernement Charest avait confié à un comité d’experts la tâche de lui suggérer un plan de match pour revenir à l’équilibre dans un contexte de crise démographique. Ce groupe a proposé de mettre l’accent sur les gains de productivité, les taxes à la consommation et l’augmentation des tarifs, mais de ne pas toucher à l’impôt sur le revenu.
Entre accepter aveuglément le concept d’utilisateur-payeur et rétablir le gel d’à peu près tous les services, la marge est importante. Aujourd’hui, le PQ renoue avec des décisions passées, dont certaines se sont révélées coûteuses sans être plus équitables. Drapé de la bannière de la « solidarité », il joue à la roulette russe avec la catégorie de citoyens la moins menaçante sur le plan électoral, mais la plus productive et la plus mobile. Des gens qui ne sortent pas dans la rue, mais qui votent avec leurs pieds.
Avant de se lancer une campagne d’opinion qui ne peut être que démagogique quand il est question de riches et de pauvres, Mme Marois devrait à son tour faire appel à un groupe de réflexion, à son image, avec pour mandat de lui proposer des pistes de travail cohérentes, à la hauteur des défis qui nous attendent. Défis dont il a très peu été question pendant cette campagne.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.