Avortement en fonction du sexe - Près de chez vous
Le fœticide en fonction du sexe, pas seulement l'affaire de la Chine, des Philippines ou de l'Inde? Le Canada aussi, des suites de l'immigration, connaîtrait cette forme de discrimination envers les femmes? Voilà une tendance qui mérite d'être condamnée, mais aussi examinée, discutée, comprise. L'information et l'éducation demeurent des atouts de prédilection pour toucher ce grave problème de respect des droits.
Le rédacteur en chef par intérim du Journal de l'Association médicale canadienne, Rajendra Kale, n'a pas fait dans la dentelle dans son éditorial «C'est une fille!», publié la semaine dernière. Il a expliqué d'entrée de jeu que les peuples de l'Asie, en migrant au Canada, n'avaient pas seulement exporté leurs délicieux currys et dimsum, mais aussi, fort malheureusement, leur préférence pour la naissance de garçons et l'avortement des filles.Brutale entrée en matière que celle-là, mais le dossier étoffé du JAMC a eu au moins le mérite d'informer sur une réalité vécue non seulement dans certains pays d'Asie, mais aussi, dans une moindre mesure, certes, au Canada. Le phénomène des avortements en fonction du sexe, toujours au détriment des filles, a beau être très marginal ici, il n'en demeure pas moins fort préoccupant. Le nier serait un laissez-passer pour l'inaction.
Le Dr Kale parle en connaissance de cause: son pays d'origine, l'Inde, connaît dans certains États du nord des ratios de 132 garçons pour 100 filles — la moyenne oscille entre 102 et 106. Plusieurs l'ont dit, et encore aujourd'hui en nos pages la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne: le problème mis au jour par le Dr Kale est réel, mais sa solution — ne pas dévoiler le sexe du bébé avant la trentième semaine de grossesse — est impraticable, non éthique, irrespectueuse des droits des femmes et risquée... On ne combattra pas le sexisme par le sexisme.
Le débat sur la solution ne devrait pas nous distraire de l'essentiel, qui est d'ouvrir les yeux sur un phénomène qui touche bel et bien des citoyens à qui on a ouvert grand notre porte. Le Canada est-il un «paradis» grâce à son accès légal à l'avortement et la gratuité de techniques de pointe telles l'échographie? Le Canada est-il, à force d'insister sans relâche sur l'acceptation des différences culturelles, en train de commettre de graves glissements éthiques?
Il y a dans cette affaire soulevée par le JAMC un riche potentiel de remises en question. Pour la communauté médicale, bien sûr, qui ne peut pas sans mot dire souscrire à cette forme de discrimination à l'endroit des femmes. Mme Miville-Dechêne a en outre raison de souligner le troublant paradoxe qui fait qu'on s'émeut de l'élimination de foetus féminins tout en restant de marbre devant le foeticide de handicapés ou de porteurs de malformations.
Le Canada n'est pas détaché de ces pays dont l'OMS nous apprenait la semaine dernière qu'ils pratiquent l'avortement clandestin en grand nombre, mettant en péril la santé des femmes. C'est lui qui persiste dans son refus de soutenir l'avortement dans les pays en voie de développement. Si par sa position officielle il cautionne le libre choix des femmes, ses devoirs lui dictent de soutenir cette politique touchant les femmes où qu'elles soient. Avec l'éthique et le respect des droits comme premiers soucis, c'est son rôle d'informer et d'éduquer. Le foeticide en fonction du sexe n'est pas une option au Canada.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.