Prospérité - Un «i» pour incomplet

Le deuxième bulletin annuel du Conseil du patronat en arrive sans surprise à la même conclusion que l'an dernier: le Québec économique reçoit la note C comparativement à l'Ontario et la Colombie-Britannique qui obtiennent un B, et l'Alberta qui arrache les grands honneurs avec un A. L'exercice est amusant, mais il ne permet surtout pas de conclure que les Québécois aspirent à vivre comme les gagnants de ce curieux exercice comparatif.

Ce qui étonne le plus à la lecture de ce «Bulletin de la prospérité», c'est qu'on ait cherché à évaluer les déterminants de la prospérité des entreprises, tels leur fardeau fiscal et le niveau du salaire minimum, plutôt que les résultats obtenus par le Québec, tels que la croissance et l'emploi, ou encore la qualité de vie et la répartition de la richesse entre les classes sociales. Ce qu'on apprend de ce bulletin, ce n'est donc pas comment se porte le Québec, mais jusqu'à quel point il répond aux attentes des milieux d'affaires.

Ainsi, même si le Québec s'en est mieux tiré que l'Ontario au cours de la dernière récession, même s'il a mieux fait que la majorité des pays de l'Union européenne, que le taux de pauvreté y est en baisse et que le climat social au beau fixe, il s'en tire avec la note C. Pire, ce «C» n'est pas synonyme d'une note entre 70 et 80 % comme à l'école, ce qui serait très acceptable, mais plutôt que nous appartenons au groupe de l'avant-queue (troisième quartile) parmi les 4 provinces canadiennes les plus populeuses et les 34 pays de l'OCDE retenus pour construire ce bulletin.

Cette méthodologie peu orthodoxe au regard des techniques d'évaluation reconnues conduit malheureusement à des déductions farfelues. Par exemple, il faudrait conclure de l'exercice qu'un pays où il n'y aurait pas de salaire minimum se verrait octroyer la note A puisqu'il ferait partie du quartile des pays les moins exigeants. Selon cette même logique, les habitants d'un pays «libéré» de toutes contraintes fiscales, réglementaires ou syndicales, ce bon vieux rêve de la droite libertarienne, mettraient toutes les chances de leur côté de prospérer sans limites...

Pourtant, au contraire, l'Histoire nous enseigne que plus un pays accorde de l'importance à des critères telles l'égalité des chances entre tous ses habitants et une meilleure redistribution de la richesse, plus il contribue à sa propre prospérité.

Par ailleurs, étant donné la stabilité relative dans le temps des 21 facteurs analysés, regroupés en cinq catégories (disponibilité et qualité de la main-d'oeuvre, coût, importance de la réglementation, fardeau fiscal des entreprises et environnement d'affaires), il y a peu de chance d'assister à des variations importantes au classement à moins d'une révolution! Dans ces conditions, pourquoi répéter chaque année un exercice dont les résultats sont les mêmes, sinon pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur ses propres revendications?

Qu'on ne s'y trompe pas, le Québec a encore bien des croûtes à manger pour atteindre le niveau de développement économique de l'Allemagne ou même celui des États-Unis, pour ne prendre que ces deux exemples. Il n'est donc certainement pas inutile de se rappeler que les jeunes Québécois décrochent beaucoup trop tôt et que la bureaucratie y est omniprésente. De là à croire que les Québécois sont prêts à changer leur mode de vie et leurs attentes face à l'État pour suivre les modèles de l'Allemagne, des États-Unis, du Japon ou de l'Alberta, il y a un pas auquel aucun bulletin ne permet encore de conclure. Heureusement!

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