Jack Layton - Et maintenant

Le décès de Jack Layton a occupé les esprits toute cette semaine. Les hommages rendus culminent aujourd'hui avec des funérailles d'État que le premier ministre Stephen Harper lui a exceptionnellement accordées. Mais derrière tous ces témoignages, la politique demeure bien présente.

Toute cette émotion autour de Jack Layton apparaît pour le moins singulière, voire démesurée. Il serait décédé voilà un an qu'il en aurait été autrement. Sauf que cet habile politicien, porté il est vrai par une conjoncture électorale particulière, a réalisé l'exploit politique de la décennie qu'a été le grand bond en avant du NPD devenu opposition officielle aux Communes et, chose encore inexpliquée rationnellement, le premier parti au Québec.

La politique était sa raison d'être et elle ne l'a pas quitté un instant, même au moment de sa mort. Cette lettre-testament adressée aux Canadiens, écrite 48 heures avant son décès, était un geste éminemment politique et stratégiquement calculé. Il savait trop bien que sa disparition créerait un vide dont son parti souffrirait. En bon pater familias, il a cherché à préserver l'avenir des siens contre des adversaires qui n'attendent que s'estompe le «buzz» médiatique autour d'un personnage sacré héros.

On ne reprochera pas à Jack Layton d'avoir laissé jouer son instinct politique jusqu'au dernier instant. Il ne pouvait qu'être conscient que sa disparition prématurée aura pour effet de consolider la position du premier ministre Harper, voire de lui assurer un deuxième mandat majoritaire lors de la prochaine élection. Il savait que, n'étant plus là, tout ce qu'il avait accompli était maintenant à risque.

Le premier ministre Stephen Harper a bien compris cela. Il a rapidement saisi qu'il se devait de s'associer à ce vaste mouvement de sympathie à travers ces funérailles d'État qu'il lui a accordées. Puis, il a tenté de montrer de la grandeur d'âme en manifestant sa volonté de gouverner pour tous les Canadiens et de respecter dans le cadre du débat parlementaire les partis d'opposition. Il faudra des compromis, a-t-il dit jeudi depuis les Territoires-du-Nord-Ouest.

On peut voir dans ces propos un clin d'oeil à Jack Layton, alors que celui-ci invitait, au lendemain de l'élection du 2 mai, le gouvernement conservateur devenu majoritaire à coopérer avec l'opposition. Mais ce n'est qu'un clin d'oeil. Rien de plus. L'expression «gouverner pour tous les Canadiens» est un rappel que c'est bien lui qui gouverne, qui fixe les priorités et qui détermine les compromis qui lui apparaîtront possibles. Il ne faut pas s'y méprendre. Si elle sera physiquement présente à la Chambre des communes, l'opposition aura, pour de nombreux mois, l'esprit ailleurs. Sauf le Parti vert, dont le chef est aussi l'unique député, les trois autres partis sont tous à la recherche d'un chef. Pire, le NPD est celui dont le leader intérimaire, Nycole Turmel, est le moins expérimenté et le plus fragilisé en raison d'une controverse sur ses affiliations politiques passées.

L'effet du mouvement de sympathie envers Jack Layton s'amenuisera rapidement. Les conservateurs auront devant eux plusieurs mois pour mettre en oeuvre un programme politique sans coup férir. Certes, le décès de Jack Layton ne changera pas le fait que le 2 mai les Canadiens ont élu un gouvernement majoritaire. Sauf que sans leader fort à sa tête, l'opposition aura désormais de la difficulté à mobiliser l'opinion publique contre des politiques conservatrices. Se trouvent là le caractère tragique du décès de Jack Layton et l'explication de l'intensité de l'émotion ressentie par ses partisans.

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