Affaire Robinson - Loin de la réalité

La Cour d'appel a beau avoir confirmé la victoire morale de Claude Robinson dans sa lutte contre Cinar, elle a fait montre d'une curieuse évaluation de son dossier. Les tribunaux n'aiment pas qu'on leur reproche leur tour d'ivoire. C'est pourtant à cette hauteur que les juges, ici, semblent avoir rendu justice.

Le silence que garde Claude Robinson depuis que la Cour d'appel a rendu jugement mercredi — reconnaissant le plagiat dont il a été victime, mais réduisant quasiment de moitié les dommages de 5,2 millions que lui avait accordés la Cour supérieure — témoigne de la déception d'un homme qui se bat depuis 16 ans pour obtenir justice et réparation. Cette déception est légitime et doit être partagée.

Il est assez ironique de constater que sur différentes tribunes, ou lors de journées d'étude spécifiquement consacrées au problème comme il s'en est tenu à l'Université de Toronto il y a peu, des juristes de haut niveau, dont la juge en chef de la Cour suprême elle-même, déplorent en termes vifs le problème d'accès à la justice. Seuls les riches, ou les très pauvres, ont accès aux tribunaux, et multiplier les recours pour gagner son point en épuisant financièrement son opposant est une tactique connue qui amplifie le problème.

C'est là un beau un sujet de dénonciation en colloque. Mais pas dans une salle de cour, comme nous le fait voir le jugement de mercredi.

En Cour supérieure, le juge Claude Auclair avait pourtant compris la dynamique à l'oeuvre dans l'affaire Robinson. Il avait ainsi fixé à 1 million de dollars les dommages punitifs à verser à M. Robinson, un montant exceptionnel, parce que Cinar et ses acolytes avaient eu à son égard une conduite «outrageante, préméditée, délibérée», qui a persisté même au cours du procès. Le juge notait aussi l'arrogance des adversaires de Robinson, qui profitaient de sa vulnérabilité. Claude Robinson s'est néanmoins acharné «à vouloir faire triompher la vérité», saluait le juge. Les dommages punitifs accordés devenaient une façon de contrebalancer un combat qui s'était étiré aussi injustement, aussi mesquinement, pendant aussi longtemps.

La Cour d'appel n'a rien vu de cette inégalité des forces en présence, affirmant plutôt que les adversaires de M. Robinson «avaient une défense valable à opposer» et qu'on n'est pas ici en face d'un «long procès inutile»... Fermant les yeux sur la mauvaise foi qui caractérise ce dossier, la Cour d'appel a donc ramené les dommages punitifs à un montant plus classique de 250 000 $. Autant dire une victoire pour les millionnaires «bandits à cravate ou à jupon», comme les qualifiait le juge Auclair...

Les juges se font tout aussi tatillons, et déconnectés de la réalité, dans d'autres aspects du jugement. Ainsi, la Cour d'appel retranche de l'indemnité versée à Claude Robinson les profits faits par Cinar qui sont reliés aux droits musicaux, le privant de centaines de milliers de dollars. C'est qu'elle décompose chaque composante de la série plagiée plutôt de la concevoir comme un tout: il n'y a pas eu de plagiat de la musique, M. Robinson n'a donc pas à recevoir de compensation à cet égard. Mais la musique est inséparable de la série: elle n'existerait pas sans elle, elle en est un corollaire, comme le note le juge Auclair. C'est toute une oeuvre, et son esprit, que Cinar a plagiés, pas seulement un personnage après l'autre!

De même, les trois juges n'ont rien compris au traumatisme vécu par M. Robinson, retranchant les deux tiers du montant accordé à ce titre. Il n'y a pas eu ici d'atteinte physique, dit la Cour d'appel. On lui a pourtant arraché le coeur... Mais qu'est-ce que la blessure chez un artiste? Ce pourrait faire un joli thème de colloque. Après tout, tant qu'on jase mais qu'on n'applique rien...

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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