Constitution égyptienne - Une première
Entre deux raids aériens sur les blindés de Kadhafi, les Égyptiens ont posé un geste que la majorité des observateurs a qualifié d'historique: ils ont voté pour une série d'amendements constitutionnels. Ils l'ont fait, dit-on, dans une ambiance empreinte d'une euphorie d'autant plus prononcée que les Égyptiens n'avaient jamais voté. Certes, de temps à autre les anciens dirigeants du pays organisaient des scrutins, mais bon... Ils n'avaient rien de démocratique et tout du sacre monarchique. Bref, ils n'avaient jamais véritablement choisi.
Toujours est-il qu'au-delà de 70 % des Égyptiens ont accepté la série d'amendements composée en moins d'une quinzaine. Ils ont dit oui à la limitation des mandats présidentiels — deux fois quatre ans —, à la nomination d'un vice-président, à l'abolition d'articles de l'état d'urgence et au renforcement de l'indépendance judiciaire. Pas plus, pas moins. Cet exercice accompli, des législatives se tiendront en juin et la présidentielle, en août ou septembre. Entre les deux, une assemblée constituante formée de 100 élus va rédiger une Constitution en bonne et due forme qui sera soumise à un référendum.Cela étant, il faut s'arrêter à la géographie du vote de dimanche. Le Oui l'a emporté grâce aux campagnes. C'est à Alexandrie et au Caire que les partisans du Non ont obtenu plus de 50 %. Autrement dit, les centres urbains qui ont mené le soulèvement, l'ont animé, ces centres qui ont fait campagne contre l'objet du scrutin parce qu'ils estimaient que la confection de la loi fondamentale et la tenue de législatives couplée d'une présidentielle commandaient une réflexion aussi prolongée que méticuleuse, ont perdu cette première manche.
Figures en vue de la nouvelle donne politique égyptienne, Amr Moussa, actuel secrétaire général de la Ligue arabe, et Mohammed el-Baradei, un des leaders de l'insurrection, s'étaient faits les avocats du Non au référendum en prétextant que la précipitation voulue par le Conseil militaire qui gouverne par intérim va grandement favoriser les seuls groupes organisés. Lesquels? Les Frères musulmans et les membres de l'ex-Parti national démocratique (PND), soit la formation de l'ex-président Hosni Moubarak.
La longueur d'avance dont disposent ces deux courants est donc attribuable à leurs expériences en ces matières, mais aussi à la dispersion des acteurs du printemps égyptien. Divisés entre diverses formations libérales et socialistes, ils évoluent sur le territoire de la... cannibalisation! De ce brouillard «politico-électoral», les Frères musulmans pourraient tirer avantage plus que n'importe quelle autre formation. Pour s'en convaincre, il suffit de s'attarder à la dernière campagne. À la faveur de celle-ci, ils ont collé à la frange religieuse concentrée, et nombreuse, dans les régions ainsi que dans les quartiers pauvres des grandes villes, où ils s'activent depuis des années et des années.
Pour l'heure, les perdants de ce premier rendez-vous sont évidemment les laïques, mais également les Coptes. Il n'a pas échappé à ces derniers le message martelé par les Frères, selon quel voter contre les amendements revenait à voter contre l'article 2, qui stipule que le Coran est la principale source des lois. Espérons que cette crainte soit rangée au rand des mirages.