Le privé en santé - Le ministre doit clarifier
Les médias ne cessent de pointer la confusion que suscitent les incursions nébuleuses du privé dans le champ public de la santé. Chaque fois, c'est la même histoire: préoccupée par l'ouverture de nouvelles cliniques garantissant «la tranquillité de l'esprit» en échange de frais, la Régie de l'assurance maladie du Québec lance une enquête et livre ses remontrances. La reprise de ce scénario doit cesser. Des clarifications s'imposent.
Il est tout à fait pertinent que la RAMQ ait promis hier de s'attarder au service de conciergerie pédiatrique lancé par la clinique Medisys 123. Comme le rapportait Le Devoir hier, celle-ci promet aux parents l'accessibilité et l'efficacité qu'un système de santé public performant devrait leur garantir. Seule différence? L'accès à ces services médicaux s'achète par forfait annuel de 975 $ par enfant. Dans un contexte où il n'y en a que pour les défaillances d'un système de santé, c'est un luxe que des parents nantis voudront en effet acheter.Mais se procureront-ils vraiment l'inaccessible et surtout, le réalisable? La clinique promet une assistance téléphonique sept jours sur sept, au bout de laquelle une visite avec un médecin sera conseillée ou non. C'est précisément ce en quoi consiste la ligne Info-Santé, totalement gratuite. Medisys 123 vante aussi les mérites du règlement de problèmes par courriel ou Internet, évoquant même l'envoi d'une photo par BlackBerry d'une affection particulière de l'enfant. Rien n'est moins clair: une clinique qui souhaitait offrir des consultations médicales par vidéoconférence a déjà été rabrouée par la RAMQ. La clinique promet surtout un accès facilité à des spécialistes dans les hôpitaux; il est indignant d'imaginer que des patients puissent ainsi acheter une entrée à l'hôpital, doublant ainsi la file d'attente.
L'hybride privé-public en santé est décidément confus, et le gouvernement est en partie responsable d'entretenir ce désordre duquel le patient, déçu mais résigné, n'a retenu qu'un élément: il faudra payer désormais pour avoir accès à un service rapide et efficace.
Les médias n'ont pas inventé le contexte d'inquiétude auquel même la RAMQ succombe: la Régie vient d'effectuer un autre rappel auprès des médecins et spécialistes, partageant ses préoccupations quant au nombre croissant de cas de facturation de frais illégaux pour des services assurés. En vertu de la Loi sur l'assurance maladie, des frais peuvent être exigés seulement par un médecin qui n'est pas associé au régime public, ou pour des services non assurés, ou encore à titre de compensation pour des frais accessoires prévus dans le cadre d'ententes. La Régie a aussi déjà clairement expliqué que les services facturés sous forme de forfait — mais qui n'ont pas été rendus au moment du paiement — sont illégaux.
Autour de ces énoncés, toutefois, il s'avère possible d'ériger un certain flou. Cette nébuleuse doit être clarifiée, avant que la RAMQ n'épuise ses ressources — 11 enquêtes sont en cours en ce moment pour dissiper ce genre de brouillard! C'est au ministre de la Santé de rappeler clairement les visées de la Loi, ne serait-ce que pour freiner les gourmandises de tous les médecins entrepreneurs qui voient dans les déboires du réseau public la promesse d'un gros lot facile. Pour sa propre paix d'esprit, mais surtout celle du public, il doit guider une population qui ne comprend plus les règles du jeu et semble prête à tout acheter, même les illusions.
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