Médecine - Le patient expert
La Faculté de médecine de l'Université de Montréal prend un virage audacieux: son programme de formation des futurs médecins reposera désormais sur une culture qui fait du patient un expert de sa propre affection, au même titre que le spécialiste et l'omnipraticien. Au nom d'une organisation des soins plus humaine, exit le patient usager, et bienvenue au patient partenaire, principal acteur des décisions médicales le concernant.
Comme le rapportait Le Devoir cette semaine, l'UdeM a créé un Bureau de l'expertise patient partenaire, dirigé par un «patient expert», Vincent Dumez. Abonné aux hôpitaux depuis les premiers mois de sa vie car il était hémophile, M. Dumez a contracté le VIH et l'hépatite C au début des années 1980, dans la foulée du scandale du sang contaminé. Son quotidien est «coloré par trois maladies chroniques», dit-il lui-même. Il est sans contredit un patient à l'«expertise» très développée.Le principe sur lequel repose le pari de l'UdeM paraît de prime abord élémentaire, mais il suppose une révolution dans la sphère des mentalités qui guident la relation médecin-patient. S'il semble en effet tout à fait naturel d'engager le patient dans sa propre prise en charge médicale, de le consulter, d'adapter les traitements en fonction de son mode de vie, l'expérience démontrerait plutôt le contraire, tant la culture du réseau de la santé et l'organisation du travail ne favorisent pas cette communication primaire. «La dimension humaine est souvent évacuée des soins», déplore M. Dumez.
Un sondage réalisé en 2008 par l'Association médicale du Québec auprès d'un groupe de médecins et d'un groupe de patients démontre hors de tout doute que l'approche imaginée par l'UdeM est nécessaire. La quasi-totalité des médecins interrogés (96 %) a dit discuter avec les patients des manières d'améliorer leurs connaissances, mais seuls les deux tiers des patients ont affirmé percevoir ces efforts. Les réponses exposaient un questionnement lancinant: l'organisation actuelle des soins de santé laisse-t-elle la place à une bonne communication entre le patient et le médecin?
Si pertinente soit-elle, l'idée du patient partenaire souffrira sûrement quelques maux en phase d'exécution. Principalement parce que le réseau de la santé se développe sur une immense souffrance, celle de l'incommunicabilité. Si la théorie seule était garante du succès, on pourrait croire en effet que le travail combiné du duo patient-médecin désengorgerait les établissements et améliorerait la qualité de vie des patients. Mais sur le terrain, nombreux sont les exemples où l'absence de collaboration a dessoufflé plus d'un projet porteur.
Qu'on se rappelle le célèbre virage ambulatoire, au déploiement freiné par l'absence de soins à domicile! Qu'on pense aux groupes de médecine familiale (GMF), censés favoriser un lien privilégié entre le patient, son médecin et une équipe de professionnels, mais dont l'épanouissement promis est ralenti par la rigidité des normes ministérielles. Qu'on insiste sur l'épineux dossier du partage des ordonnances, dont la mise en forme tarde en raison de différends opposant les ordres professionnels représentant les médecins, pharmaciens et infirmières. Qu'on songe aussi au Dossier de santé du Québec: ce projet d'informatisation des dossiers des patients présenté comme la pièce maîtresse d'une réforme efficace est encore au point mort, malgré des investissements massifs.
Les querelles qui divisent les lobbys professionnels — une récente escarmouche a opposé les spécialistes aux omnipraticiens — sont en outre un symptôme fâcheux d'une incapacité à collaborer autour du patient. Encore moins avec lui! Ces bisbilles, ajoutées à une rigidité des structures bloquant l'innovation, condamnent la réalisation de réformes essentielles.
Cela étant dit, le meilleur endroit pour faire évoluer les mentalités reste encore assurément les bancs d'école, et c'est pour cela qu'il est rafraîchissant — malgré une forte dose de scepticisme ci-haut démontrée — d'apprendre que c'est à l'université, incubateur des futurs professionnels de la santé, qu'on essaiera de semer les germes d'une nouvelle culture...
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machouinard@ledevoir.com