Les GI quittent l'Irak - Le fiasco
La dernière brigade de combat américaine encore présente en Irak il y a une semaine vient de plier bagage. Si l'on ne peut plus parler d'occupation, on ne peut non plus qualifier l'Irak de pays indépendant et stable. Il se trouve dans un entre-deux qui laisse présager une suite chaotique. Il est victime des décisions prises par l'administration Bush dans les heures qui ont suivi le renversement de Saddam Hussein.
À peine l'armée américaine prenait-elle le contrôle de Bagdad que la Maison-Blanche installait, sur le flanc politique, les chefs de file de la résistance au régime baasiste. Ils s'appelaient, ils s'appellent toujours, Nouri al-Maliki, Iyad Allaoui, Ibrahim al-Jaafari, Ahmad Chalabi (celui qui avait fait croire aux autorités américaines que Hussein détenait un arsenal d'armes de destruction massive), Abdul Mahdi, ainsi que les Kurdes Jalal Talabani et Massoud Barzani.Depuis sept ans, ils occupent à tour de rôle les plus hautes fonctions sans jamais parvenir à s'entendre. Ils se disputent comme s'ils étaient encore dans l'opposition. Ils décident à l'aune de l'immédiateté. Ils cultivent l'intérêt personnel et celui du clan auquel chacun appartient, reléguant du coup la nécessaire vision d'ensemble au rayon des encombrements. Bref, ils ne sont pas à la hauteur de la tâche.
En disposant ces hommes aux postes clés, l'administration Bush et le proconsul Paul Bremer ont commis une énorme erreur. Car tous ces hommes partagent un dénominateur commun qui en dit long sur leur sens politique, que l'on sait aujourd'hui dévoyé: ils ont été en exil pendant une trentaine d'années au cours desquelles ils ont apprivoisé la culture du secret, la clandestinité, les manoeuvres de la duplicité, le montage de coups. Tout logiquement, leur gestion des affaires de l'État porte la marque de ces pratiques du passé davantage que celle de la démocratie.
Au ras des pâquerettes, cela se traduit comme suit: les coupures d'électricité sont aussi longues que quotidiennes, la distribution d'eau potable laisse grandement à désirer, ainsi qu'en témoignent les cas de choléra, et envoyer ses enfants à l'école relève du parcours du combattant. On aura deviné que la population est à la fois inquiète et révoltée. À tel point que de plus en plus de citoyens ont la nostalgie du sanguinaire Hussein, parce qu'avec lui «l'ordre régnait et on avait du travail».
Cette conscience du ras-le-bol du peuple irakien a eu un effet aussi récent qu'inattendu. Constatant que la dernière brigade armée américaine prenait le chemin du retour et qu'allait s'ensuivre une inévitable remise en question par ce même peuple des politiques suivies depuis 2003, certains représentants de l'élite ont décliné un acte de contrition que résume fort bien ce propos du vice-président Abdul Mahdi: «Nous devrions avoir honte de la manière dont nous avons dirigé le pays.»
En fait, Mahdi et d'autres avec lui entendent se dédouaner, se racheter, car ces anciens exilés sont habités de nouveau par la peur. De quoi? Qu'on les accuse d'avoir été les collaborateurs de l'occupant américain. D'avoir été les associés de l'armée américaine et des armées privées, comme la très honnie Blackwater. D'avoir été les alliés d'un gouvernement américain qui, en menant une campagne de «débaasification» massive, a mis au chômage des centaines de milliers d'Irakiens. On se souviendra que, sous le régime de Saddam, pour être professeur, infirmier, médecin ou autre, il fallait être membre du parti.
Sur le registre de la peur, Moqtada al-Sadr, bête noire des Américains mais très populaire auprès des laissés-pour-compte qui sont par ailleurs très nombreux, joue la partie en aiguisant justement le sentiment de rejet qu'inspirent chez les Irakiens ces actes de collaboration. Seul politicien en vue à ne pas avoir vécu à l'étranger pendant des lunes et des lunes, autrement dit seul politicien à avoir une perception plus juste de ce que vit le simple citoyen, Sadr est devenu incontournable. Mieux, il est devenu faiseur de rois. Et ce...
Et ce, pour le plus grand bonheur de Téhéran, du régime des ayatollahs dont il est proche. D'un régime qui entend profiter au maximum de l'instabilité en Irak afin de disposer davantage ses pions dans ce qu'il considère comme son arrière-cour. Sa chasse gardée. Bref, l'échec de Bush aura été total.