Les élections européennes - L'indifférence

Ces semaines-ci, les élus du Vieux Continent sont habités par une inquiétude. Ils appréhendent un taux d'abstention record aux élections européennes du 7 juin prochain qui sera tout bénéfice pour les formations d'extrême droite et d'extrême gauche. Paradoxe des paradoxes, le député qui siège au Parlement de Strasbourg n'a jamais eu autant de pouvoirs que présentement.

Cela fait trente ans aujourd'hui que les députés européens sont élus au suffrage universel. Le taux de fréquentation le plus élevé avait été enregistré au tout début. Depuis lors, le nombre d'abstentions n'a cessé d'augmenter allant jusqu'au record de 2004. En Allemagne, réputée être l'élève modèle, l'élève ayant la fibre européenne la plus trempée qui soit, pas moins de 57 % des citoyens avaient boudé les urnes. En Pologne, ils avaient été 78 % à pantoufler dans leurs demeures alors que ce pays venait de bénéficier d'un ticket d'entrée très riche en espèces sonnantes.

Sans minimiser l'importance du devoir citoyen consistant à glisser un bulletin dans l'urne, il faut dire que l'horizon de 2004 était beaucoup plus brouillé qu'il ne l'est actuellement. Dans la foulée de la guerre en Irak et plus précisément des mensonges formulés par le premier ministre britannique Tony Blair sur le fait que les caves de Saddam Hussein étaient remplies d'armes de destruction massive, les gouvernements européens s'étaient divisés entre partisans et adversaires de cet engagement militaire. Conséquence? Les événements irakiens avaient teinté passablement la campagne de 2004.

Qui plus est, toujours en 2004, l'Union européenne venait d'accueillir dix nouveaux membres, dont huit nations de l'Europe de l'Est. Des nations qui dans la plupart des cas vivaient un sursaut nationaliste après soixante-dix ans d'oppression stalinienne et de centralisme démocratique. Nombre d'entre elles avaient rejoint l'UE davantage par peur de Moscou que par passion pour la construction d'un autre bloc, en l'occurrence européen. À la faveur du conflit en Irak, la plupart d'entre elles avaient rejoint le camp mené par Blair.

Aujourd'hui, il n'y a plus de Blair, de Jacques Chirac, de Gerhard Schröder et de José Aznar qui avaient croisé le fer sur fond irakien. Il y a surtout que, la crise financière étant passée par là, la politique a repris certains de ses droits sur l'économie. En clair, certains des dogmes inscrits dans le Traité de Maastricht, puis confirmés ou remodelés par ceux de Nice et Lisbonne ont volé en éclats. Grâce à quoi, grâce à qui? La mollesse de la commission européenne en général, l'incompétence du président José Manuel Barroso en particulier.

En effet, alors que les Bourses étaient saignées, que les plans sociaux se multipliaient, que l'économie en général affichait tous les signes inhérents à la récession, Barroso et ses commissaires, ses ministres aux pouvoirs étendus, sont restés sur leur quant-à-soi. Il aura fallu l'activisme de certains chefs d'État lors de la présidence française de l'UE pour que des banques soient nationalisées, des entreprises subventionnées, que des plans de relance soient confectionnés. Fait à noter, ce sont les Sarkozy, Merkel et consorts sans oublier les députés européens qui ont appelé à une meilleure régulation de l'industrie financière, et non Barroso et ses commissaires trop épris des idées néolibérales pour oser des interventions.

Malgré cette clarification des rôles, cette redéfinition des fonctions, tous les sondages montrent que les Européens vont bouder comme jamais le scrutin du 7 juin. Pour le grand plaisir, semble-t-il, des formations nationalistes, xénophobes, d'un côté, et celles de l'extrême gauche de l'autre. Cette montée en puissance s'explique en partie par la descente aux enfers des travaillistes au Royaume-Uni, par un Parti socialiste français en pleine déliquescence, par le recul des socialistes en Espagne et par la défense et illustration de la politique du strass et des paillettes développée par l'inénarrable Silvio Berlusconi. Bref, les repères sont brouillés.

Tout cela est regrettable, car, on le répète, à la suite des traités nommés, le député de Strasbourg a vu sa sphère d'influence s'élargir. Tout cela est d'autant plus regrettable que Barroso, maître ès incompétence, va être reconduit dans ses fonctions.

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