Le caïman et la justice
Silvio Berlusconi, à peine réélu président du conseil italien au printemps dernier, a repris là où il avait laissé lors de son précédent mandat: soit l'exploitation des rouages de l'État afin d'échapper aux possibles sanctions de l'appareil judiciaire. Pour atteindre son objectif, il a composé de sa main une loi accordant l'immunité aux individus occupant les plus hautes charges du pays: président de la République, président du Parlement, président du Sénat et, bien évidemment, président du Conseil.
Hier, une majorité de députés, faut-il s'en étonner, a voté en faveur de ce texte. Si le Sénat confirme le verdict des parlementaires, cet amateur de bel canto qui égaye les soirées de ses collègues du G8 pourra dormir du sommeil du juste. Du juste dans le sens de labeur, de travail. Celui abattu depuis sa victoire aux dernières législatives dans le but de détourner l'exercice de la justice dans le sens contraire de celui que les citoyens attendent d'elle. En clair, Berlusconi a mené cette opération infâme à la hussarde. Ce n'est pas tout.L'homme ayant le culte bien trempé de sa personnalité, et de ses intérêts financiers en particulier, il a rédigé une autre loi. La première version de celle-ci prévoyait — tenez-vous bien — la suspension des procès concernant des personnes ayant commis des actes passibles de dix ans d'emprisonnement et remontant avant juin 2002. Après que des magistrats furent montés au créneau pour évidemment contester ce projet, l'homme a mis un peu d'eau dans son vin. Probablement du Lacryma Christi del Vesuvio, ou... Larme du Christ!
Toujours est-il que la nouvelle version a ramené la suspension aux dossiers qui concernent des méfaits commandant trois ans de prison. Mais ce qu'il faut retenir dans cette manipulation, c'est que l'essentiel, l'essentiel étant Berlusconi, a été méticuleusement préservé. Le procès dont il est le sujet au parquet de Milan sera abandonné si les élus adhèrent à ce viol juridique. On l'aura compris, le bien surnommé Caïman a donc concocté un coup double. Il s'est confectionné un tailleur sur mesure dans des tissus mafieux.
Une fois débarrassé du regard de ces juges qu'il a qualifiés de «cancer de la démocratie», Berlusconi pourra se livrer à une de ses occupations favorites: thésauriser. Dans son cas, puisqu'il est président du Conseil et première fortune du pays, il ne faut pas oublier, jamais oublier, que les conflits d'intérêts se conjuguent au pluriel et non au singulier. Prenons par exemple ses activités médiatiques. Grâce à son poste de chef du gouvernement, il détient un pouvoir d'influence énorme sur la télé publique. Bref, il a toute la latitude voulue pour transformer sa fonction en premier rôle d'une télé-réalité.
En 1994, Berlusconi avait gagné les élections. En 2001, il les avait également remportées. En 2006, il avait échoué pour mieux se reprendre cette année. On rappelle ces faits parce que cela fait 14 ans qu'il est au coeur comme au centre de la vie politique italienne. Qu'a-t-il fait pour son pays? Rien. Pour lui? Tout. Tout ce qui a permis de gonfler son sac d'espèces sonnantes. Le vieux Balzac avait coutume de dire que «derrière chaque fortune se cache un crime». Dans le cas présent, cette formulation s'avère un constat et non une opinion.