La tour de Babel

Le G8, le Conseil de sécurité de l'ONU, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et bien d'autres organisations et institutions internationales partagent un dénominateur commun: elles peinent à se mettre au diapason du temps présent. À adopter ou intégrer les récentes évolutions.

Au sommet du G8 qui vient de se conclure au Japon, les chefs d'État ont discuté du Zimbabwe sans la présence d'un Africain. Ils ont échangé sur le nucléaire iranien en l'absence de la Chine. Ils ont évoqué le pétrole sans autre représentant de pays producteur que celui de la Russie. Ils ont balisé les gaz à effet de serre, à très long terme, en quantifiant des normes que des nations non membres du club devraient respecter. Bref, ce sommet a été à l'image des précédents, soit une caisse de résonance médiatique pour faire pression sur des organisations appelées à traiter ces sujets.

C'est d'ailleurs parce qu'il a été transformé d'un club à vocation strictement économique en un porte-voix d'intérêts particuliers qu'une fois encore il a été question d'ouvrir la porte du cénacle à d'autres nations. Comme d'habitude, cet élargissement, qui serait dans la logique des développements économiques enregistrés au cours des 15 dernières années, a été proposé à la veille du sommet, cette année par le président Sarkozy. Comme d'habitude, l'addition de membres a été abandonnée sans même avoir été abordée, ou si peu.

Pourtant, on compte au moins trois pays qui présentent des paramètres économiques commandant l'ajout d'autant de chaises autour de la table. Il y a la Chine et l'Inde, que tous les partisans d'un élargissement nomment régulièrement. Il y a aussi l'Espagne, dont le PIB par habitant est dans la moyenne du G8 mais pour laquelle personne ne milite, même si, derrière les rideaux, les diplomates de ce pays s'activent depuis des années afin de faire entendre sa voix et celle du monde hispanique qui ne compte, faut-il le rappeler, aucun représentant.

Le cas espagnol a ceci d'extrêmement intéressant qu'il est le révélateur par excellence des positions de tous et chacun qui se résument en deux mots: user des rapports de force, les entretenir, les alimenter, afin de préserver et possiblement bonifier son fonds de commerce, l'économique et le politique. On s'explique. En ce qui concerne l'Espagne, il faut souligner que le Français a fait aujourd'hui comme l'Allemand a fait hier et le Britannique avant-hier: l'ignorer.

En effet, dans la liste proposée par Sarkozy, on retrouve, outre la Chine et l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud ainsi que le Mexique. Prenons par exemple le Mexique. Son PIB par habitant est l'ombre de celui qu'il est en Espagne. Alors pourquoi Sarkozy et d'autres n'en veulent-ils pas, pour dire les choses comme elles sont? Parce que l'Espagne est par ailleurs un concurrent régional, un concurrent européen. L'intégrer au G8 reviendrait à perdre un moyen de pression indirect à son endroit sur bien des fronts.

Il en va avec le Conseil de sécurité de l'ONU comme il en va avec le G8. Cela fait des lunes qu'ici et là on avance l'idée d'accorder le droit de veto à d'autres nations. Et ce pour une raison d'une logique implacable: lorsque l'ONU a été créée, elle comptait 51 membres alors qu'il y en a 192 présentement. Toujours est-il que les États-Unis proposent que le Japon devienne membre permanent. Mais voilà, la Chine s'y oppose parce que Tokyo est son principal adversaire régional. En Europe, la France soutient la candidature de l'Allemagne. Mais voilà, l'Italie s'y oppose parce que...

Dans le fourre-tout des créations internationales, l'Asie s'avère un cas aussi singulier que loufoque. Il y a l'Association of South-East Asian Nations (ASEAN), il y a l'ASEAN-plus-three qui regroupe uniquement la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Il y a aussi l'Asia-Pacific Economic Co-operation Forum (APEC), qui est la favorite des Américains parce qu'ils en font partie. Histoire de faire bonne mesure ou plutôt pour enquiquiner ces derniers, Pékin et Moscou ont mis sur pied l'Organisation de coopération de Shanghai, qui comprend six nations auxquelles se greffent des États ayant un statut d'observateur. Parmi ces derniers, on retrouve comme par hasard... l'Iran. Bref, la Russie peut bien taper sur les doigts de l'Iran lors du G8 pour mieux s'excuser, si l'on ose dire, lors des pourparlers avec ses amis de cette dernière organisation.

Entre le G8, l'ONU, l'ASEAN, l'APEC, l'UE et beaucoup d'autres, une chose et une seule est sûre: ça promet à gauche pour mieux se préserver à droite.

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