L'Inde touchée
De toutes les caractéristiques propres à l'attentat commis hier à Kaboul, celle qui retient toutes les attentions s'appelle l'Inde. Un, parce que, de toutes les nations qui ne participent pas aux opérations de la coalition militaire, l'Inde est de loin la plus active sur les fronts politique, culturel et surtout économique. Deux, parce que le dynamisme déployé par New Delhi depuis le renversement des talibans agace au plus haut point un pays qui tient à se doter d'une profondeur stratégique en Asie centrale. Il s'agit évidemment du Pakistan.
Pour tous les observateurs, à commencer par le ministre afghan de l'Intérieur et certains membres du cabinet indien, il est probable que les services secrets pakistanais ont participé à l'explosion d'hier, soit dit en passant la plus ample depuis qu'Hamid Karzaï est président. Leur argument? La charge employée, le modus operandi et la cible recherchée, soit l'attaché militaire de l'Inde, permettent d'avancer l'implication d'experts pakistanais en ces choses, les talibans n'ayant pas une maîtrise totale de tous les aspects inhérents à ce type d'opération.Il est vrai que, depuis la chute du régime des talibans, l'Inde et l'Afghanistan se sont rapprochés à la vitesse grand V. Entre Karzaï et le gouvernement indien, les affinités se sont conjuguées au pluriel, et non au singulier, dès la minute qui a suivi le départ, obtenu à la force du poignet, des talibans. Outre le fait qu'il a étudié en Inde, Karzaï n'avait pas oublié et n'a toujours pas oublié que, lorsque les talibans étaient au pouvoir, ils étaient soutenus par le Pakistan, alors que l'Inde approvisionnait en fusils et autres l'Alliance du nord du commandant Massoud.
Toujours est-il que, au cours des six dernières années, l'Inde s'est révélée être l'un des principaux bailleurs de fonds de l'Afghanistan. Infrastructures routières, écoles, réseau hospitalier, peu de secteurs ont été négligés par New Delhi, qui a vu dans la déroute des talibans l'occasion rêvée de réduire quelque peu les agissements du Pakistan et de certains de ses alliés sur un terrain très sensible... le Cachemire. Précisons que des contingents de militants islamistes sont entraînés en Afghanistan, armés par le Pakistan, avant d'être parachutés au Cachemire.
Symbole de ce renforcement de liens étroits entre New Delhi et Kaboul, Karzaï critique le Pakistan et ses responsables avec une régularité métronomique. Il ne se passe pas un mois sans qu'il pointe du doigt la politique bienveillante qu'observe Islamabad à l'égard des talibans qui ont fait des provinces du nord du Pakistan leur sanctuaire.
Cela rappelé, on retiendra qu'au cours de la dernière année certains des consulats que l'Inde a rouverts ainsi que des citoyens indiens travaillant pour de gros projets ont été visés par les talibans. Mais, jusqu'à présent, les installations situées dans la capitale, Kaboul, avaient été épargnées. Depuis hier, ce n'est évidemment plus le cas. Pour KarzaÏ, cet attentat a ceci de singulier qu'il met en relief la fragilité qui est la sienne, ou plutôt il confirme avec éclat ce qui se dit depuis plusieurs mois. À savoir qu'il est le maire de Kaboul et non le président de l'Afghanistan, tellement lui et la coalition internationale peinent à sécuriser un pays où, fait important, le nombre des soldats tués au cours du mois de juin vient de dépasser pour la première fois celui enregistré en Irak. C'est dire.