En attendant les roses

Sitôt arrivée la fête de Pâques cette année que je me demande: «Serait-ce vraiment le printemps pour de bon, pour toujours? Un printemps pour un jardin de fleurs — des roses en l'occurrence — qui n'en finiraient pas de s'épanouir?» Un printemps de rêve, quoi. Un printemps éternel. Tel serait aussi le voeu implicite d'une chanson printanière venue de France (pourquoi pas en 1608?): «Je voudrais que la rose fût encore au rosier... » Ah! ces désirs jamais assouvis d'éterniser nos amours!

Mais la réalité est dure, implacable. Comme Pascal la perçoit: «Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans l'éternité précédant et suivant, le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et je m'étonne de me voir ici plutôt que là.» (Pascal, Pensées, section III, 205.) Pourtant, ce désir d'immortalité, désir universellement répandu d'une vie jamais close, persiste.

Trois grandes religions monothéistes s'appliquent à prévoir, et ce, jusqu'à la limite de l'imaginable, le retour possible de la vie, ma vie, après la mort. Une de ces religions, la religion chrétienne, envisage même une après-vie de notre corps. Croyance entêtée, archaïque à bien des égards, véhiculée de l'Orient mystique à l'Occident rationaliste, de Jérusalem à Rome. Cela depuis 2000 ans. À savoir, plutôt à croire, que Jésus de Nazareth, ce prophète exécuté sous les ordres du représentant local de l'empereur romain pour avoir trop parlé, avait promis au cours de sa vie en Palestine que sa propre mort ne mettrait pas le point final à sa vie, qu'il reviendrait et qu'il en serait de même pour chacun de nous. Pour mieux expliquer au peuple qui l'interrogeait, Jésus avait même adopté l'image du grain de blé mis en terre et qui meurt pour revivre, qui devient une racine, un tronc, voire un arbre printanier en floraison.

Démesure? Abus de confiance? Défi? Oui et non. Est-ce si enfantin de croire ainsi qu'une énergie première d'existence reçue à notre naissance pourrait un jour transformer notre corps pour finalement le rendre à jamais vivant? Puissance de la vie dès ses commencements! Question d'amour! Une alliance entre l'Éternel et l'humanité, ainsi que le proclament de très antiques livres sacrés. «Qui croit en moi, même s'il meurt, aura la vie éternelle. Je le ressusciterai au dernier jour.» C'est cette croyance en la résurrection du corps qui explique tant d'alléluias au cours des âges, les cantates de Pâques de Jean-Sébastien Bach, les Chants de terre et de ciel d'Olivier Messiaen. Des oeuvres de peintres aussi: Michel-Ange, Raphaël, Giotto surtout, qui a représenté le corps du Ressuscité à la manière de Giacometti: corps essentiel, spirituel, lumineux.

Malgré l'impossible humain, ce désir divin d'une existence corporelle réhabilitée n'a rien de mesquin. Ni surtout d'égocentrique. Celui, celle qui aime vraiment a besoin de tout son être, de toute sa vie et même de toute son éternité pour dire et redire: «Je t'aime!» Mais oui, l'amour est éternel, et Jésus le premier est entré dans cette perspective: «Je vous aime... Demeurez dans mon amour... Le plus grand amour que quelqu'un puisse montrer, c'est de donner sa vie pour ses amis.»

Mourir pour revivre? Mourir au temps humain, quantitatif et mesurable pour entrer dans un temps qualitatif et... éternel? Est-ce bien ce qu'a voulu dire cet ami longtemps secrétaire de l'image mortuaire préparée par son épouse Martine soudainement endeuillée en leur maison de Kamouraska? Je lis ces mots d'adieu, éblouissants et généreux comme leur auteur: «Mes voeux: que nous augmentions notre capacité de croire en la grandeur de l'humanité en construction jusqu'au moment de l'éternité, cette seconde où recommencera le temps non compté.»

Peut-être n'est-elle pas si naïve, après tout, la ronde de mon enfance au troisième rang de Saint-Michel-de-Bellechasse: «Je voudrais que la rose fût encore au rosier... », immortelle, symbole de l'amour, offrande de beauté sans fin!

Joyeuses Pâques!

À voir en vidéo