Élection à la russe

L'identité du vainqueur de l'élection russe était un secret de Polichinelle depuis des mois. Cela étant, on ne se doutait pas que la chorégraphie dessinée au Kremlin se confondrait avec autant de fraudes, d'interventions musclées et de vanité. Vanité? Il fallait que Dmitri Medvedev obtienne 70 % des suffrages au premier tour, mais pas plus de 71 % afin de ne pas faire de l'ombre au score enregistré par Poutine lors du scrutin antérieur. C'est exactement cela qui a été constaté: Medvedev a récolté 70,2 % des votes.

Depuis avant-hier, Moscou est le chef-lieu de la pantomime électorale. Avant la tenue du scrutin, tout avait été fait pour que les employés de différentes ONG versées en démocratie et ceux de l'Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe ne puissent pas accomplir les tâches pour lesquelles ils sont réputés. En politicien aussi roué que retors, Poutine ne voulait pas que ces gens-là soient témoins de ses basses oeuvres. Son objectif, le satrape du Kremlin l'a atteint, mais pas autant qu'il l'aurait souhaité.

En effet, malgré l'absence d'une forte majorité de ces personnes habilitées à qualifier une élection de juste ou pas, Poutine n'a pu étouffer la description de scènes où la fraude était de mise. Bref, de l'Oural à la lointaine Sibérie les urnes ont été bourrées. Ici, on avait organisé des carrousels de vote avec des jeunes parce qu'ils peuvent se rendre d'un bureau à un autre plus rapidement que les adultes. Là, on avait organisé une tombola avec les numéros des bulletins. L'enjeu? L'élection d'un président? Non! L'attribution d'un poste de télévision.

Si on était fonctionnaire, on était obligé de voter, et pour la bonne personne évidemment, sous peine d'être puni. Car ordre avait été donné aux gouverneurs d'afficher un taux de participation dépassant les 65 %. Et comme les gouverneurs ne sont plus élus par la population, mais bel et bien nommés par Poutine, ils avaient intérêt, si l'on peut dire, à répondre aux diktats du grand chef s'ils ne voulaient pas se retrouver derrière les barreaux ou dans un carré de... béton! Oui, de béton.

De ce côté-ci de l'Atlantique, on mesure encore mal la férocité avec laquelle Poutine gère les affaires du pays depuis son intronisation en l'an 2000. Grâce à ce recours constant à la brutalité, il a imprimé son influence sur les activités économiques les plus rentables, sur tout l'univers audiovisuel. Il a anéanti l'embryon de société civile qui a vu le jour après la chute du Mur en un tour de main. Il a mis tous les politiciens à sa botte en plus de nommer ses anciens camarades de l'ex-KGB aux postes-clés. En un mot, il est et va demeurer le maître incontesté de la Russie.

Il ne faut pas se faire d'illusion, l'élection d'avant-hier ne changera rien à cet état de fait. Medvedev n'aura de président que le nom. Si l'on en doute, il suffit de rappeler que Poutine en personne a souligné qu'il entendait épaissir et élargir le champ d'action dévolu au premier ministre. Symbole de cet appétit démesuré pour le pouvoir, il est allé jusqu'à préciser qu'en tant que numéro deux du régime il entendait conserver les deux résidences destinées au président. Il est donc plus que probable que Medvedev va être président aux... abonnés absents!

À moins qu'il ne décide d'amorcer une partie de bras de fer avec Poutine. La chose serait d'autant plus surprenante que Medvedev lui doit toute sa carrière. Sans lui, il serait probablement resté professeur de droit à Saint-Pétersbourg. Mais il y a autre chose. De plus grave, plus dangereux. Car s'attaquer à Poutine, c'est aiguiser la forte inclination qu'il a pour la revanche musclée. Poutine a fait de la corruption, des abus en tout genre et du trafic d'influence le socle de l'administration gouvernementale. Medvedev en sera le simple gérant.

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