Question de temps

Après une semaine de combat dans le Kurdistan irakien, le contingent turc est parti avec armes et bagages. Il serait étonnant, voire stupéfiant, que l'armée turque ne s'introduise pas de nouveau en territoire irakien dans un avenir rapproché. Et ce, parce que les facteurs ayant convaincu les dirigeants actuels de la Turquie de ne pas lâcher prise sur ce front puisent dans l'histoire et dans les bouleversements géopolitiques des dernières années. Déclinons.

Avant la chute du Mur, l'Union soviétique était considérée par les Turcs comme sa principale menace. Après l'implosion de l'univers communiste, les liens qu'avaient entretenus jusqu'alors Washington et Ankara allaient peu à peu s'effilocher.

Tout a commencé, pour ainsi dire, avec la guerre du Golfe en 1990-91. Le premier ministre turc de l'époque, Turgut Özal, avait décidé, contrairement à l'avis donné par l'état-major et ses conseillers, de participer à l'offensive destinée à renvoyer dans leurs quartiers les troupes irakiennes qui avaient envahi le Koweit.

Peu de mois après, et dans la logique de ce conflit, Özal permettait aux forces aériennes américaines, britanniques et françaises d'utiliser les bases turques situées à proximité du Kurdistan irakien. Leur mandat? Garantir une autonomie relative aux Kurdes d'Irak. Au fil des escarmouches entre forces turques et militants du Parti des travailleurs kurdes (PKK), le sentiment de la population kurde à l'égard des Américains et des Européens devait rapidement se métamorphoser. D'une certaine empathie à son contraire.

Cette transformation des mentalités sur le plan politique allait se traduire dans les faits par un changement radical de la garde. Par la voie des urnes, l'élite pro-occidentale était renversée au profit d'une élite regroupant les conservateurs, les religieux et les nationalistes qui partageaient deux dénominateurs communs. Le premier? La principale menace à l'intégrité territoriale s'appelle Kurdistan. La deuxième? Les freins imposés à l'arrimage de la Turquie à l'Union européenne confirment, selon eux, que l'avenir de la nation se conjugue davantage avec le Moyen-Orient.

Au printemps 2003, Américains et Britanniques partent à l'assaut de Bagdad. Une fois Saddam Hussein renversé, on constate que les militants du PKK qui avaient adopté profil bas depuis l'arrestation d'Abdullah Öcalan s'activent, armes au poing, en territoire turc. On réalise aussi que certains d'entre eux sont des Kurdes de Syrie, d'autres d'Iran. On enregistre également que, lors du premier scrutin organisé en Irak, 95 % des Kurdes affirment leur penchant pour l'indépendance des provinces kurdes d'Irak. On observe enfin, non sans effroi, que les Kurdes veulent le rattachement définitif de Kirkouk à leur territoire. Outre que cette ville est au coeur d'une région riche en pétrole, nombre de ses habitants sont des... Turkmènes.

Résultat, on assiste aujourd'hui à une convergence des intérêts turcs avec ceux de la Syrie et de l'Iran. Nous voici témoins de l'amorce d'un chapitre qui s'annonce sanglant.

À voir en vidéo