Ordures au soleil

À la suite d'une grève d'éboueurs déclenchée début décembre, le volume des ordures ménagères qui s'étalent dans les rues de Naples avoisine désormais les... 120 000 tonnes! Ce chiffre, que l'on ne sait comment qualifier tellement il dépasse l'entendement, fait craindre l'éclosion non pas d'une épidémie, mais bien de plusieurs. Et ce, parce que le gouvernement central, parce que le premier ministre, Romano Prodi, cultivent une coupable inertie en la matière.

Enfin, il a bien nommé un commissaire extraordinaire et fait appel à l'armée, mais lorsqu'on prend en considération le fait que l'opération de nettoyage va se poursuivre pendant plusieurs semaines, on retient que Napolitains et Napolitaines auront subi odeurs nauséabondes, rats et cloportes pendant plus de deux mois. On retient que des milliers d'enfants sont privés d'école pour des raisons hygiéniques que l'on devine. On retient enfin que ce problème perdure depuis quatorze ans parce que les gouvernements qui se sont succédé n'ont pas eu la courage de s'attaquer au fond du problème. Quel est-il? La Camorra, la mafia locale, qui a le monopole de la collecte des ordures ainsi que des déchets toxiques provenant du nord de l'Italie. En clair, le sud du pays est la poubelle de l'Italie.

Selon les calculs effectués par Roberto Saviano, auteur du livre à succès Gomorrha, dans l'empire de la Camorra chez Gallimard, les clans mafieux ont empoché 60 milliards au cours des quatre dernières années. D'après son enquête, le rendement inhérent à la gestion des poubelles est concurrencé seulement par celui du trafic de la cocaïne. En fait, il faut préciser que le retour financier obtenu par la Camorra a été rendu possible grâce, entre autres choses, au cocktail que les chimistes qu'elle emploie ont confectionné en mélangeant les déchets ménagers aux toxiques afin que ces derniers puissent être enfouis dans des sites moins protégés, donc moins onéreux.

Résultat net de ce procédé immonde, l'Organisation mondiale de la santé a constaté après étude que le taux de cancers du poumon, du pancréas et du foie était de 12 % supérieur à la moyenne nationale. Que les malformations congénitales étaient de 80 % supérieures au reste de l'Italie. Des hectares et des hectares de terres agricoles renferment une panoplie de poisons, des nappes phréatiques sont touchées, etc. Pour reprendre l'expression employée par Saviano, qui soit dit en passant est sous la protection de la police vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les Napolitains et leurs voisins meurent aujourd'hui «d'une peste silencieuse».

Cela étant, peut-être que le symbole de cette déchéance est un nom propre: Clemente Mastella. Il avait été témoin au mariage d'un collaborateur de la Mafia et vient de démissionner parce qu'il a été mis en cause dans une affaire de corruption. Il n'était pas ministre de l'Immigration, des Sports ou des Communications, mais bel et bien ministre de la Justice.

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