Ingérence inacceptable
Annoncé en fin de soirée mardi, le congédiement de la présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), Linda Keen, est une preuve de plus de l'autoritarisme partisan du premier ministre Stephen Harper.
Selon le ministre des Ressources naturelles, Gary Lunn, Mme Keen aurait manqué de jugement et de leadership dans l'affaire des isotopes médicaux. Or la relecture des événements montre que la présidente n'a fait que remplir son mandat, qui n'est pas de produire des isotopes ou de l'électricité, une responsabilité qui échoit à Énergie atomique Canada limitée (EACL), mais de voir à la sûreté des réacteurs nucléaires au Canada.Contrairement à ce qu'on a dit, la CCSN n'a jamais ordonné l'arrêt du réacteur de Chalk River, pas plus que la prolongation de la période d'entretien du 19 novembre. Ce qui s'est passé est plus simple et très révélateur.
Lors d'une lecture de routine des manuels de fonctionnement du réacteur, début novembre, un inspecteur de la Commission de sûreté a été surpris de noter que deux pompes d'urgence destinées au refroidissement du réacteur en cas d'accident n'étaient pas branchées. Interrogée, EACL a confirmé l'existence de cette anomalie, qui faisait pourtant partie des conditions de renouvellement du permis, en 2006. S'agissant d'un manquement grave, les inspecteurs ont informé EACL qu'un rapport de non-conformité serait rédigé.
Le 19 novembre, EACL a stoppé le réacteur pour quatre jours, comme prévu au programme d'entretien périodique. Trois jours plus tard, elle informait la Commission de sûreté que l'arrêt serait prolongé pour procéder au raccordement des deux pompes.
Le 27 novembre, devant l'ampleur de la tâche, EACL a évoqué la possibilité de relancer le réacteur avec une seule des deux pompes. Mais pour ce faire, elle devait obtenir un amendement temporaire à son permis. Le 2 décembre, EACL est revenue sur sa position et a fait savoir qu'elle poursuivrait ses travaux de branchement des deux pompes. Le 7 décembre, nouveau revirement: EACL ramenait l'idée de relancer le réacteur avant la fin des travaux sur la deuxième pompe. C'est alors qu'est intervenu le ministre, par téléphone, directement auprès de la présidente de la CCSN pour exiger la reprise de la production d'isotopes, en contravention aux règles de la commission. Malgré l'engagement de la présidente à procéder avec diligence, le 11 décembre, la Chambre a été saisie d'un projet de loi d'exception qui ordonnait la relance du réacteur. Forte de l'appui du ministre, jamais EACL ne s'est donc donné la peine de préparer un plan susceptible de recevoir l'aval de la commission.
Oui, il fallait reprendre la production d'isotopes, mais EACL savait depuis 2006 — et le ministre aurait dû savoir — que ce réacteur de plus de 50 ans ne répondait pas aux normes. Personne n'a forcé EACL à aller de l'avant, le 19 novembre, sans prévenir et sans avoir planifié le travail. En intervenant directement auprès de la présidente de la CCSN et en la congédiant «sans cause» par la suite, le ministre Gary Lunn s'est rendu coupable d'une ingérence inacceptable dans les activités d'un organisme de réglementation quasi judiciaire de première importance pour la sûreté des Canadiens. Il doit démissionner!