Jeunesse autochtone
Non seulement les nations autochtones ont été les premières à peupler le Canada, elles augmentent sans cesse leur part relative d'occupation de ce pays, où les taux de natalité, pourtant, périclitent... Le «boom» autochtone, qui se traduit par une population sans cesse plus jeune, accentue la nécessité d'amoindrir la misère sociale qui colore toujours le quotidien de cette population.
Six. Depuis 1996, la nation autochtone s'est développée six fois plus vite que la population canadienne en général. Ce prodigieux taux de croissance, au nombre des données dévoilées hier par Statistique Canada et tirées du recensement de 2006, côtoie l'un de ses évidents corollaires: le fait que, chez les Inuits, les Métis et les Premières Nations, les moins de 24 ans forment 48 % de la population — comparativement à 31 % chez les non-autochtones.En 1996, au terme d'un studieux examen et d'un travail colossal, les coprésidents de la Commission royale sur les peuples autochtones, George Erasmus et René Dussault, avaient peint un triste portrait. «Santé déficiente, conditions d'habitation lamentables, eau malsaine, scolarité insuffisante, pauvreté, famille éclatée: voilà ce qui caractérise habituellement les pays du Tiers-Monde. Mais c'est aussi le lot des autochtones du Canada.» Un portrait alors jugé «gênant» pour le Canada, «humiliant» pour les autochtones.
Plus d'une décennie plus tard, le dysfonctionnement social qui avait inspiré les deux hommes à proposer une véritable révolution politique et sociale — qu'aucun gouvernement n'a eu à ce jour le cran de mener — demeure actuel. Impossible d'évoquer les conditions de vie des autochtones sans parler de la disgrâce associée au quotidien d'une large portion de ces groupes.
Pour l'instant, le dénombrement de l'agence fédérale s'attarde à l'essor des peuples et à leur propension à occuper les espaces urbains. D'autres tranches de données sont encore à venir pour illustrer la dégringolade socioéconomique que peu de groupes ont réussi à affronter avec succès. Nul besoin d'être devin pour avancer qu'en matière de logement, de santé ou encore d'éducation, le portrait de 2006 ne sera guère plus reluisant que celui d'il y a dix ans.
En 1996, pour réaliser ce «ressourcement» auquel les coprésidents appelaient, le rapport Erasmus-Dussault contenait un ambitieux plan d'action bien installé sur un socle nommé autonomie. Avec deux milliards de dollars additionnels, quinze ans de travail et une violente onde de choc appelant à une réingénierie des rapports entre la fédération et les nations autochtones, la brique de 4000 pages prédisait une embellie sociale.
Qui n'est jamais venue, faute de courage. S'abritant derrière un paravent économique et craignant comme la peste un remodelage politique à la faveur d'un groupe représentant alors 3 % de la population canadienne (maintenant 4 %), aucune administration fédérale n'a osé provoquer le cataclysme alors évoqué. L'autonomie gouvernementale des nations autochtones, si elle a bourgeonné au Québec, demeure encore une utopie d'un océan à l'autre.
Pendant ce temps, les centaines de millions que les gouvernements ont refusé de cautionner se perdent et se paient quand même à coups de programmes sociaux destinés à rapiécer des peuples aux prises avec la violence familiale, la toxicomanie, les logements inadéquats, le décrochage scolaire, le suicide et d'importants taux de non-emploi. Au nom de cette jeunesse autochtone appelée à croître et avide d'autonomie, l'impasse politique justifiée par l'entrave économique n'est plus acceptable.
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