La méprise du CRTC
L'histoire nous fait parfois de curieux pieds de nez: le jour même où la Cour suprême du Canada appuie la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de fermer la station radiophonique de Québec CHOI-FM, on apprend que les propriétaires punis pour avoir violé les limites de leur permis vendent leur controversée station grâce à ce même permis, suspendu mais toujours valide. Longue vie à CHOI!
Le combat de la «radio-poubelle» a eu beau démarrer sur un grand principe — la protection de la liberté d'expression —, il se dénoue autour d'une vulgaire affaire de gros sous. Grand gagnant de cette saga aux contours juridiques, le propriétaire de CHOI, Genex Communications, a réussi le coup de maître de vendre sa station alors que celle-ci était toujours sous respirateur artificiel.À côté du grand vainqueur qu'est Genex gît un CRTC faiblard, qui a en quelque sorte facilité ce dénouement de mauvais goût. En consacrant la vente de CHOI à Radio Nord — comme il l'avait décidé en octobre 2006 —, le CRTC a sérieusement entaché sa crédibilité.
Bon gardien des ondes publiques, le CRTC avait joué d'audace et bien assis son autorité en retirant son permis à une station qui tirait grassement profit des attaques personnelles et des propos injurieux, grande spécialité de l'animateur-vedette (aujourd'hui déchu) Jeff Fillion. C'était le 13 juillet 2004. Le même jour, sans grande surprise, le CRTC libérait la fréquence dans l'espace public, la soumettant à un appel de demandes de licence.
On connaît la suite: les tentatives de Genex de poursuivre l'exploitation de CHOI-FM ont avorté, certes, mais lui ont permis d'étirer le temps, ouvrant tout grand la porte à la négociation. Lorsque Radio Nord a demandé le droit à la licence de radiodiffusion liée au 98,1 FM, le CRTC a accepté. Au mépris de sa propre décision, rendue deux ans plus tôt, il a du coup annoncé qu'il n'y aurait pas d'appel de demandes, comme toute le monde le réclamait.
«Non justifié» — comme le CRTC l'a écrit dans sa décision —, cet appel public aurait pourtant permis à la vigie du système canadien de radiodiffusion de ne pas perdre la face. Qui sait si Radio Nord, qui a promis par la voix de son propriétaire, Raynald Brière, de «naviguer en eaux plus calmes», n'aurait pas gagné le droit à cette licence au terme d'un processus permettant le jeu de la concurrence?
On reproche au CRTC de ne pas savoir asseoir ses lois. C'est pourtant ce qu'il avait fièrement réussi dans le dossier de CHOI-FM, sachant braver le courroux du peuple soudainement privé de sa «liberté d'expression»!
Dommage que ce premier élan d'intégrité se dégonfle ainsi: là où il aurait dû rendre à l'espace public des ondes libérées de tout droit de propriété, le CRTC s'est plutôt érigé en protecteur d'un investissement privé. Ce mauvais rôle le couvre d'une sorte d'opprobre qui l'accablera longtemps.
machouinard@ledevoir.com