La guerre des nerfs
Au début du mois, le nouveau secrétaire américain de la Défense, Robert Gates, avait assuré aux membres du Congrès qu'aucun plan d'attaque contre l'Iran n'était à l'étude. Depuis son intervention, des critiques imposantes, tant par le nombre que par la fermeté du ton employé, laissent supposer que, si un plan d'attaque frontale n'est pas en préparation, l'administration Bush ne restera pas les bras croisés d'ici aux présidentielles de 2008. Il serait en tout cas étonnant qu'elle ait abandonné l'étude, par exemple, de frappes dites chirurgicales sur les sites nucléaires.
Prenons la sortie publique effectuée avant-hier par des officiers américains. Aux journalistes présents, ces derniers ont indiqué que les milices chiites irakiennes utilisaient des bombes portant l'empreinte iranienne. Ils ont également souligné que l'un des six Iraniens arrêtés il y a trois semaines était en fait le numéro deux de la brigade al-Qods des Gardiens de la révolution islamique, chargée du soutien militaire aux chiites hors Iran. Fait particulier, cette brigade ne peut agir qu'avec la caution des hautes autorités gouvernementales.De prime abord, à entendre ces gradés, on pourrait croire que l'implication militaire de l'Iran, de manière directe ou indirecte, est toute récente. Pourtant, ils n'ont fait que reprendre l'observation formulée par l'ex-patron du Pentagone Donald Rumsfeld l'automne dernier et par d'autres généraux en 2004. À leur décharge, il faut souligner que leur exposé était le plus précis déclamé jusqu'ici.
Bien évidemment, le président Mahmoud Ahmadinejad a réagi à la conférence de dimanche en jurant que jamais l'Iran ne s'était introduit dans le bourbier irakien. Sa sortie, c'est à retenir, fut limitée à cette réaction ou plutôt à ce sujet et seulement à ce sujet. On mentionne cela parce que, dans les jours précédents, il s'était engagé à créer la surprise en date du 11 février, jour anniversaire du renversement de la monarchie en 1979.
Cela étant, des échos qui parviennent d'Iran, il semble évident que le guide suprême Ali Khamenei a décidé de museler quelque peu Ahmadinejad afin d'éviter une autre provocation de sa part à l'endroit des Américains. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la liberté de critique permise par Khamenei, à condition qu'elle vise l'actuel président, a eu pour résultat tout récent la publication d'éditoriaux descendant en flammes l'attitude d'Ahmadinejad en matière nucléaire.
Dans la foulée de ces blâmes, le responsable du dossier côté iranien, Ari Larijani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, donc sous l'autorité directe de Khamenei, a fait une nouvelle proposition à ses partenaires de la troïka européenne. Soit reprendre les négociations sur la base suivante: regrouper toutes les activités nucléaires dans un consortium comprenant d'autres pays.
Lorsque l'on s'attarde aux déclarations et aux gestes des dernières semaines, on constate évidemment que la montée de lait des militaires américains concernant les agissements militaires des Iraniens en Irak a eu pour conséquence une réaction iranienne sur le front nucléaire. Autrement dit, Téhéran souffle le chaud et le froid pour mieux poursuivre, à son rythme, son objectif: amener Washington à une négociation directe.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.