Le forceps du Hezbollah

Lors de la conférence consacrée au Liban, un certain nombre de pays ont convenu d'accorder des prêts avoisinant les huit milliards de dollars. Une bonne portion de ces sommes provenant de l'Arabie saoudite, de la France et des États-Unis, nations qui soutiennent le premier ministre Fouad Siniora, le Hezbollah chiite a exprimé ses réserves avant d'exiger avec plus de force que jamais la tenue d'élections générales.

Alors qu'une trentaine d'États et de représentants d'organismes négociaient à Paris le montant devant être accordé au Liban ainsi que les mécanismes balisant sa répartition, des heurts violents entre partisans du gouvernement et du Hezbollah se poursuivaient pour la troisième journée consécutive. À un point tel que le cabinet Siniora a imposé un couvre-feu. Il n'avait guère le choix.

En effet, depuis près de deux mois maintenant, le Hezbollah mène à l'encontre de Siniora et de ses ministres une guérilla qui ne porte pas son nom. Début décembre, cette organisation fondamentaliste avait installé des dizaines de tentes autour du siège de l'État, obligeant bien des ministres à camper sur place, avant d'organiser une grève générale cette semaine. Bref, après avoir paralysé le gouvernement, voilà que le Hezbollah occupe le centre-ville.

En agissant de la sorte, les mollahs libanais espèrent atteindre leur but: renverser le cabinet Siniora, tenir des élections législatives et hériter du tiers des portefeuilles plus un afin d'obtenir de facto la minorité de blocage. Ce dernier élément revêt une importance particulière pour le Hezbollah comme pour le gouvernement syrien.

En effet, tant Damas que l'organisation chiite veulent à tout prix disposer de la minorité de blocage non pour travailler au bien-être des Libanais mais bien pour éviter aux Syriens soupçonnés d'avoir organisé et commis l'assassinat de l'ex-premier ministre Rafic Hariri d'être jugés par un tribunal international.

Or, en marge de la conférence tenue hier à Paris, le président Chirac ainsi que le secrétaire d'État adjoint des États-Unis, Davis Welch, ont souligné que la création de ce tribunal devrait se faire rapidement, l'enquête policière dirigée par l'émissaire de l'ONU étant achevée depuis plusieurs mois. À Damas, on craint évidemment que l'identité des coupables n'alourdisse davantage la réputation du régime ainsi qu'une réaction de la rue syrienne. Comme Hariri, les trois quarts des Syriens sont sunnites et très sympathiques à la cause que défendent les Frères musulmans. Et alors? Le pays est dirigé depuis des lunes par la minorité alaouite qui est, si on peut dire, la cousine germaine des chiites.

Si le Hezbollah insiste avec force pour que le cabinet Siniora se fasse hara-kiri, c'est non seulement en raison des facteurs évoqués mais aussi parce qu'il appréhende la capacité de reconstruction qui sera la sienne lorsque les sommes fixées à Paris lui seront versées. Actuellement, si les réseaux hospitaliers et scolaires sur lesquels il a la main haute fonctionnent normalement, c'est avant tout grâce à l'argent qu'il reçoit de l'Iran qui, par ailleurs, arme et entraîne ses miliciens.

Lorsqu'on s'attarde à la ventilation des prêts alloués à des taux préférentiels, on constate que l'Arabie saoudite, le royaume des sunnites, s'avère le financier le plus important. Or, jusqu'à présent, ce pays n'a pas cessé d'investir au pays du Cèdre au nom des liens avec les sunnites libanais, bien évidemment, ainsi que pour freiner la montée en puissance des chiites et de l'Iran dans cette région. Alors que Rafic Hariri était premier ministre, Riyad investissait massivement à Beyrouth.

Au cours des prochaines semaines, il serait très étonnant que le Hezbollah baisse la garde tant il est instrumentalisé par l'Iran. À quelle fin? Construire un croissant chiite en se moquant comme d'une guigne du Liban.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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