Civiliser les conflits

Il arrive rarement qu'un projet de loi présenté par un simple député franchisse toutes les étapes de la procédure parlementaire et entre en vigueur. Surtout si le député en question siège dans l'opposition. Or, les conservateurs étant minoritaires à Ottawa, c'est ce qui pourrait se produire si le projet de loi 57 présenté par le Bloc québécois reçoit l'appui des libéraux et du NPD lors de la troisième lecture qui suivra l'étude en comité.

Ce projet de loi propose de modifier le Code du travail fédéral afin d'empêcher les entreprises d'avoir recours à des travailleurs de remplacement lors d'un conflit légal. Le Code du travail canadien s'applique à quelques secteurs de l'économie seulement, dont les transports maritimes et ferroviaires, les télécommunications et les banques. Il touche moins d'un demi-million de personnes, mais selon les représentants patronaux, une loi anti-briseurs de grève romprait l'équilibre des forces au profit des grévistes dans des secteurs stratégiques de l'économie canadienne. De toute façon, ajoutent-ils, une étude gouvernementale montre que là où une telle loi existe, au Québec et en Colombie-Britannique par exemple, le nombre de conflits et la longueur de ceux-ci sont plus élevés. Ce qui contredirait l'argument syndical voulant qu'une loi anti-briseurs de grève incite les parties à négocier et à s'entendre plus rapidement.

C'est vrai qu'il se perd plus de journées de travail au Québec qu'ailleurs, mais n'est-ce pas d'abord parce que le taux de syndicalisation est plus élevé ici? Par définition, la grève est toujours le fait d'employés syndiqués, et s'il n'y a jamais de grève dans les banques, c'est parce qu'il n'y a pas de syndicats, point.

Avant qu'on n'interdise l'embauche de briseurs de grève, au Québec, les conflits de travail étaient souvent violents à cause de la colère des syndiqués remplacés par des employés occasionnels. On se rappellera de conflits particulièrement violents comme celui de la Robin Hood, où des gens sont morts, et celui de la Pratt & Whitney. Ce sont de tels conflits qui ont conduit à l'adoption d'une loi par le gouvernement de René Lévesque, en 1977.

Les conservateurs de Stephen Harper sont radicalement opposés à toute modification du Code du travail qui irait dans cette direction. De leur côté, les libéraux, qui ont appuyé le projet en deuxième lecture, ne connaissent pas encore le mot d'ordre qui viendra de leur nouveau chef, Stéphane Dion.

En comité parlementaire cette semaine, certains intervenants ont soutenu qu'une telle loi devrait être accompagnée de l'obligation pour les grévistes de respecter des services essentiels, comme c'est le cas dans les services publics du Québec. Voilà une autre fort bonne idée qui, conjuguée à l'entrée en vigueur d'une loi anti-briseurs de grève, aurait pour effet de civiliser les relations de travail au pays lors de conflits.

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j-rsansfacon@ledevoir.com

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