La guerre est civile
Au début de la semaine, les plus influents des médias américains ont annoncé qu'ils qualifieraient la guerre en Irak pour ce qu'elle est: une guerre civile. L'ex-secrétaire d'État Colin Powell, probablement libéré par l'empirisme manifesté par ces médias, a décidé lui aussi d'appeler un chat un chat. La Maison-Blanche? Elle s'y refuse. Pis, elle s'obstine.
Il y a trois jours, le président Bush est allé à la rencontre de son homologue irakien, Nouri al-Maliki, pour lui préciser ses intentions, voire pour rassurer ce dernier, inquiété par les interventions de plus en plus nombreuses d'Américains influents exigeant un retour daté des troupes. Essentiellement, Bush a promis à son homologue qu'il resterait aussi longtemps que celui-ci le jugerait nécessaire. CQFD: pas question d'établir un calendrier. Pour l'instant du moins.Si cette discussion a froissé quelques démocrates, elle a surtout provoqué la fureur du chef de file des chiites habitant Bagdad. Il s'agit évidemment de Moqtada al-Sadr. Opposant de la première heure à la présence américaine, Sadr a estimé que cette rencontre était rien de moins qu'une provocation et que Maliki était un traître. Du coup, il a ordonné une suspension du soutien que les députés et ministres qui lui sont fidèles apportent à Maliki.
Pour bien comprendre la gravité de ce geste, il faut rappeler que, sans ce soutien, Maliki ne dispose plus de la majorité au Parlement. Dit autrement, Sadr vient de dévoiler ses cartes, qu'on peut résumer ainsi: il veut être un faiseur de roi, voire être le roi lui-même. Chose certaine, à court terme, Maliki est coincé. Son cabinet étant condamné à l'impuissance, il sera contraint d'accorder à Sadr ce qu'il souhaite ou de l'affronter.
Alors, que veut Sadr? Son ambition première comme ultime est très simple: instaurer une république islamique en Irak. Attention! Une république dont le profil serait quelque peu différent de celui dessiné par Khomeiny en Iran. On ne doit pas oublier qu'à la différence des Iraniens, Sadr et ses millions de fidèles ne sont pas perses mais arabes. Qui plus est, Sadr est en conflit avec la hiérarchie chiite.
En effet, celle-ci est passablement agacée par les agissements de ce jeune leader religieux parce qu'il refuse d'obéir au doigt et à l'oeil aux ordres formulés par les ayatollahs. Ces derniers, il faut le préciser et le souligner, sont derrière Abdul Aziz al-Hakim, patron du parti Sciri et des brigades Badr. Parce qu'il est le chouchou, si l'on ose dire, des Iraniens, Hakim bénéficie de leur aide financière comme militaire.
Lorsqu'on s'attarde aux lignes de fracture qui divisent l'univers chiite irakien, on constate qu'elles sont plus nombreuses que jamais et qu'elles annoncent de fait des lendemains encore plus sanglants. Les deux camps, sans parler des chiites laïques, ont à leur disposition des milices qui ont vu leurs fonctions augmenter à la faveur justement du conflit qui se poursuit.
Maintenant, qui dit république islamique dit rejet du fédéralisme inscrit dans la Constitution. Sur ce front, on se souviendra que les Kurdes ont bataillé ferme pour que le modèle fédéral distingue la loi fondamentale du pays. Ils tenaient à ce que l'autonomie relative dont ils ont profité lorsque l'espace aérien, au cours des dix dernières années du régime baasiste, était sous la surveillance des Américains et des Britanniques soit plus que préservé. Car ce qu'ils veulent est tout aussi simple que ce que veut Sadr: l'indépendance du Kurdistan irakien.
Si jamais Sadr décide de prolonger, voire d'aggraver le rapport de force qu'il poursuit notamment avec l'actuel gouvernement, il est écrit dans le ciel que les Kurdes ne resteront pas les bras croisés. Forts de leur milice, 100 000 Peshmergas bien armés et bien entraînés, les Kurdes pourraient bien, si le contexte s'envenimait, prendre la route de la sécession que plus de 90 % d'entre eux veulent obtenir coûte que coûte.
Et les sunnites? Après avoir imposé leur loi à la majorité chiite et brimé durablement les Kurdes, ceux-ci ont opté pour le jusqu'au-boutisme. Ce que les leaders de l'insurrection sunnite veulent est aussi simple à décrire que ce que veulent les chiites et les Kurdes: empêcher l'implantation d'une république islamique et gommer tout ce qui ressemble de près ou de loin à ce fédéralisme qui bénéfice surtout aux Kurdes. Conclusion? La guerre civile en cours pourrait bien se solder par la partition de l'Irak.