Le boomerang

La fusion précipitée de Gaz de France avec le groupe Suez a provoqué en Europe une belle foire d'empoigne. Parrainée, pour ne pas dire menée, par le gouvernement français, cette association a suscité de vives réactions dans la plupart des capitales européennes. On critique, avec raison d'ailleurs, le protectionnisme des Gaulois tout en feignant d'ignorer que, sur le front industriel, chacun fait chez soi ce que les Français viennent de faire.

Tout d'abord, rappelons que la totale libéralisation des marchés de l'énergie en territoire européen est prévue pour 2007. En vue de cette échéance, tous les poids lourds du secteur ont entamé la course de la taille, celle devant permettre l'acquisition de la masse critique. À cela il faut ajouter l'impact qu'a eu sur les esprits l'arrêt net de distribution de gaz par les Russes en direction de l'Ukraine. On a alors réalisé que la sécurité en matière d'approvisionnements était fragile. Qu'elle était sujette aux aléas de la politique.

Toujours est-il que c'est dans ce contexte que la compagnie allemande E.On a lancé une OPA sur l'espagnole Endesa, jugée si contraire à l'intérêt national que le gouvernement espagnol encourage les deux géants ibériques du secteur à fusionner. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, les autorités politiques ont pris des mesures afin que 100 % de leurs hydrocarbures demeurent entre les mains des nationaux.

Sortons de l'énergie. En Allemagne, une loi interdit toute appropriation de Volkswagen par des intérêts étrangers. Il y a peu, la Pologne a déposé une plainte auprès de la Commission européenne afin d'empêcher l'achat de la financière allemande HVB par l'italienne Unicredit. Le motif? Cette transaction concerne notamment deux sociétés polonaises filiales de l'allemande HVB.

Ces exemples, auxquels on pourrait en ajouter beaucoup d'autres, enseignent au moins une chose. Après des années et des années de credo néolibéral, il semble que le protectionnisme a le vent dans les voiles. Tous les gouvernements, à des degrés divers il est vrai, activent aujourd'hui la fibre du nationalisme économique avec plus d'emphase qu'hier.

Risquons une hypothèse. Le rejet de la Constitution européenne par la France et les Pays-Bas découle en partie d'une remontée du sentiment national dont les politiques ne peuvent plus faire fi. Chose certaine, un récent sondage sur la question démontre que l'adhésion des citoyens à l'Union européenne ne cesse de diminuer. Parmi les chiffres, retenons le plus significatif: le soutien à l'appartenance à l'Union n'est plus que de 50 %. Le plus faible niveau depuis des lunes. C'est à se demander si tous les membres de l'UE ne sont pas condamnés à revoir leur copie afin de stopper net ce retour... en arrière.

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