Une grande gorgée de bonheur
Agnès, une petite fille de huit ans, débarque dans la vie d'Élie, trente ans, chasse son blues d'amour et métamorphose sa vie en une pluie de printemps. Roxane Bouchard, lauréate du prix Robert-Cliche 2005, signe avec Whisky et paraboles un premier roman vif, fantaisiste, tendre, écrit dans un style très imagé et une langue libre, éclatée. La fraîcheur de ton et la légèreté donnent toute sa force à ce récit en forme de quête de soi.
Amorosa«Du passé qui fait si mal que, parfois, on dirait que notre vie n'avance plus. On trébuche, on tombe et on reste par terre.» Anéantie par une rupture amoureuse qui l'a laissée au bord du silence, Élie se réfugie au fond des bois, dans un chalet au bord d'un lac. Elle reste des heures dehors à regarder les étoiles filantes «valser» dans son verre de vin.
Élie fuit. Au bar du village, elle flotte dans les brouillards des whisky à 40 %, bus et rebus. Élie a peur de se souvenir de. Quand elle parle, elle laisse ses phrases en suspens. Une manière pour elle de s'esquiver. De n'avouer à personne, surtout pas à elle-même, qu'elle est une «irresponsable d'amour». Élie ne voyage plus qu'à l'intérieur de ses propres murailles, de ses propres peurs.
Quand Agnès, la petite voisine, rebondit dans sa vie, elle ne résiste pas à l'appel et au désarroi de cette enfant qui traîne derrière elle un passé de coups et de cauchemars. Une complicité merveilleuse se développe entre elles, au quotidien. «Je l'ai prise dans mes bras, renversée sur le lit et lui ai infligé la meilleure raclée de chatouillis jamais vue.» Élie croit au pouvoir guérisseur des rêves. Elle raconte à Agnès des histoires insolites avec des fleurs qui se bercent dans de grands soleils «jusqu'à terre».
La présence de la fillette aux coups d'oeil taquins et au sourire lumineux l'aide à tourner la page de son passé. Élie reprend pied, arrête la fuite. «S'accepter avec ses manques, ses faiblesses, ses craintes [...] apprendre à se pardonner tout ce qu'on ne peut pas être.» Dans la lumière bleue de l'été naissant, Élie retrouve «l'euphorie d'exister». Elle prend la plus grande décision de sa vie: adopter Agnès. La renomme Amorosa.
Amour fou des mots
Les artistes qui gravitent autour d'Élie cherchent également un sens à leur vie. Richard, auteur-compositeur-interprète, a beaucoup de peine à mettre de l'ordre dans sa vie amoureuse débordée. Manu l'Amérindien, quand il joue du piano, c'est tout un continent de douleurs et d'humiliations qui glisse sur quelques notes: «Quand tu n'as plus le droit de suivre la piste des ancêtres et que les arbres ne t'appartiennent plus, où tracer ton sentier?» Élie lui donne le recueil de Miron. Qui appelle à la fin de l'agenouillement.
«J'ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant/ il y a longtemps que je ne m'étais pas revu / me voici en moi comme un homme dans une maison / qui s'est faite en son absence / je te salue, silence / Je ne suis pas revenu pour revenir / je suis arrivé à ce qui commence.»
Dans Whisky et paraboles, Roxane Bouchard «aspire à grand goulot» (sic) de nombreux écrivains d'ici, fait flotter sur le roman l'esprit du conte qui ravive les imaginaires et les mémoires collectives. Elle explore, expérimente la langue française, jongle avec les mots, les fait virevolter, crépiter. Parfois elle force un peu la note poétique et se perd dans des passages verbeux et diffus. Il lui faudra apprendre à tempérer cet amour fou des mots.
Travailler sur la langue, c'est travailler sur l'émotion. Whisky et paraboles en est plein. À lire pour la tendresse, l'amitié, pour «tous les rêves que l'on bâtit sur l'espoir».
Bref, les rêves restent allumés longtemps. Bref, les rêves restent allumés. Bref, les rêves restent. Bref, les rêves. Bref.
Collaboratrice du Devoir
Whisky et Paraboles
Roxane Bouchard
VLB éditeur
Montréal, 2005, 280 pages