Perspectives - Volkswagen blues
Volkswagen traverse des jours sombres. L'entreprise phare de l'économie allemande est secouée par les scandales alors même que ses ventes accusent durement les coups de la concurrence étrangère. Il ne pouvait pas y avoir de meilleur moment pour qui veut régler ses comptes avec cette encombrante anomalie du capitalisme appelée la cogestion.
Tout cela a commencé, le mois dernier, par le dévoilement d'un scandale bien modeste en comparaison avec les histoires de Enron, WorldCom ou Parmalat. Il était question de voyages somptueux au Brésil offerts par la compagnie aux membres du comité des employés et agrémentés des services de call-girls de luxe. Il était aussi question d'un réseau de sociétés fantômes créées par des gestionnaires pour en tirer des avantages personnels.Les congédiements de cadres relativement anonymes ont récemment fait place à des démissions beaucoup plus dramatiques comme celle du fameux directeur des ressources humaines de la compagnie mère, Peter Hartz, proche conseiller et ami personnel du chancelier allemand Gerhard Schröder.
C'est le moment qu'a choisi le nouveau président de la marque Volkswagen, Wolfgang Bernhard, pour dresser l'un des portraits les plus accablants entendu depuis longtemps de la situation de l'entreprise de 343 000 employés et de 107 milliards au chiffre d'affaires, qui comprend aussi les marques Skoda, Bentley et Bugatti, mais qui est gérée séparément des autres marques Audi, Lamborghini et Seat. «Il n'y a rien de bon qui s'en vient», a-t-il déclaré.
Déficit d'opération de 64 millions au premier trimestre, pertes en un an de parts de marché aux États-Unis (de 6 % à 5,6 %) et en Chine (de 26 % à 18 %), échec pitoyable d'un virage haut de gamme, essoufflement des modèles qui faisaient le succès de l'entreprise (Golf et Passat), résultat gênant (34e sur 37) dans les plus récentes enquête sur la fiabilité... la situation est devenue «inacceptable», a déclaré le chef d'entreprise de 44 ans avant de promettre d'augmenter les revenus annuels de cinq milliards d'ici 2008 en vendant plus de voitures et en en comprimant les coûts de fabrication. «Il n'y aura pas de vache sacrée», a-t-il averti, sans directement faire référence aux scandales des dernières semaines, mais tout le monde voyant bien dans quelle direction il regarde.
De l'avis de plusieurs, le fabricant de la «voiture du peuple» (volkswagen en allemand) est victime de la loi allemande sur la cogestion des entreprises et du pouvoir excessif qu'elle confère aux travailleurs. Selon cette loi, toutes les entreprises de 500 employés et plus doivent avoir un comité de travailleurs qui doit être consulté lorsque des questions comme le nombre d'emplois ou les conditions de travail sont en cause. Le tiers des sièges au conseil d'administration doit également leur être réservé dans les entreprises de 500 à 2000 employés. Cette proportion grimpe à 50 % des sièges dans les entreprises plus grandes. Comme le gouvernement du lander de Basse-Saxe, où se trouvent les usines allemandes de Volkswagen, détient aussi 18 % des actions de la compagnie, et qu'il a longtemps été contrôlé par le SPD de Gerhard Schröder, proche des syndicats, les représentants des travailleurs et leurs alliés avaient, jusqu'à tout récemment, 13 des 21 sièges du conseil d'administration de l'entreprise.
Pas étonnant, disent les critiques, qui ont récemment pris le pouvoir dans le lander de Basse-Saxe, que les syndicats aient commencé à se mêler des stratégies d'affaires, du choix des futurs modèles de voiture et même de l'embauche des membres de la direction. Pas étonnant non plus que la compagnie ait payé sans broncher les escapades brésiliennes de son comité de travailleurs, que son conseil d'administration se soit généralement montré tellement timoré lorsque des emplois étaient en jeu, ou que les coûts de la main- d'oeuvre y soient 40 % plus élevés que chez la concurrence et 20 % supérieurs à la moyenne allemande.
Pas si seuls
Il n'y a pas si longtemps encore, on célébrait les mérites de la cogestion et de Peter Hartz pour avoir su préservé la paix sociale en instituant chez Volkswagen, en 1993, la semaine de quatre jours qui allait sauver 30 000 emplois, et en ratifiant, l'automne dernier, une convention collective dans laquelle les 103 000 employés de l'entreprise en Allemangne acceptaient une réduction salariale de 30 % en échange de la promesse qu'aucune mise à pied ne serait faite d'ici 2012.
Aujourd'hui, on dit que la compagnie peut produire six millions de voitures alors qu'elle n'en vend que cinq, et qu'il faudrait qu'elle mette justement à pied 30 000 employés pour corriger la situation. Le hasard veut que son jeune président, Wolfgang Bernhard, se soit justement fait un nom, dans l'industrie de l'auto, en congédiant 30 000 personnes et en relevant la qualité des produits alors qu'il était no 2 chez Chrysler.
La droite allemande et certains milieux d'affaires voudraient que l'on se débarasse de cette loi de la cogestion «si douloureusement démocratique», écrivait un commentateur du Financial Times, et espèrent que «l'affaire Volkswagen» les y aidera.
Le problème, pour eux, est que la population se montre malgré tout fortement attachée à cet aspect de leur modèle économique. Il se trouve, également, que les Allemands ne sont pas aussi seuls qu'on le dit, dans le monde capitaliste, à croire en ce genre de principes, 18 des 25 pays de l'Union européenne appliquant une forme ou une autre de cogestion. On retrouve, parmi eux, des modèles de productivité comme les économies d'Europe du Nord.
Aussi, la Confédération des employeurs allemands s'est-elle retenue, l'an dernier, d'exiger l'abolition pure et simple de la cogestion et a réclamé, à la place, une simple réduction du nombre de sièges réservés aux syndicats au sein des conseils d'administration, afin d'y donner la prédominance aux actionnaires.
De telles réformes aideraient probablement Volkswagen à retrouver le chemin des profits. Elles pourraient, aussi, permettre de découvrir de nouvelles façons plus productives d'impliquer les travailleurs dans la gestion de leurs entreprises. Elles comporteraient, toutefois, également le risque de voir la compagnie se rapprocher simplement des méthodes de gestion employées par la concurrence en même temps qu'elle s'éloigne de son ancien idéal d'entreprise du peuple.