Santé - Un sportif aux fourneaux

Le matin, au gîte de Québec où nous logeons, Chantal et Fred sont déjà attablés. Entre deux fraises de l'île d'Orléans (les meilleures!), Chantal nous dit, des étoiles dans les yeux, qu'ils sont allés manger au Laurie Raphaël la veille au soir. «Et comment avez-vous trouvé cela?» «Ah! vraiment, c'était délicieux, et nous avons été traités comme des rois.» Elle est encore émue au petit-déjeuner! C'est là que je lui raconte que j'ai rencontré le chef Daniel Vézina dans la jolie cuisine où il donne des cours. D'emblée, j'ai demandé au chef si la santé l'intéresse.

Daniel Vézina. Ma santé est très importante. Ça fait quatre ans que j'ai un entraîneur privé, j'y vais au moins trois fois par semaine, pendant la coupure de l'après-midi. J'ai essayé de m'entraîner tout seul, ça ne m'a pas mené loin. Je fais beaucoup de cardio, qu'on combine avec des exercices musculaires et des étirements. Benoît, mon entraîneur, me fait travailler des orteils jusqu'aux oreilles, et ce n'est jamais le même entraînement. Il invente des exercices pour moi. On fait du circuit training et du spinning une fois par semaine, j'adore ça! J'aime me dépasser, aller au bout de mon énergie. Je me suis construit un dos. Et mon ami Normand Laprise m'a emmené au golf, ce tannant-là. Il m'a donné la piqûre; maintenant, je joue aussi avec ma femme. Et quand tu commences à être sportif, c'est là que tu comprends l'importance de bien t'alimenter.

Le Devoir. Ce qu'on entend sur l'obésité, vous en dites quoi?

D.V. C'est chez les jeunes que c'est le plus frappant. Pour moi, mon poids est vraiment une préoccupation. Je n'ai pas envie de devenir le chef bedonnant, et nous, on goûte du matin au soir. C'est beaucoup de travail, par contre! J'essaie de voir un massothérapeute une fois par semaine, j'ai un bateau, je fais beaucoup de wakeboard — c'est une planche à neige sur l'eau —, on a même commencé à faire du skatesurf, c'est une planche sans attelage. Je suis plutôt un beach boy, pas un gars que tu amènes dans le bois. J'ai une plage chez moi en avant de la maison, j'aime faire du volleyball de plage, on a un terrain de badminton et, avec les enfants, je fais du kayak. Aussitôt que j'ai 30 secondes, je fais un sport. L'autre truc auquel je fais attention depuis sept ou huit ans, c'est de manger moins de féculents, moins de pain blanc, moins de pommes de terre, moins de pâtes... J'avais lu Montignac, je voulais perdre un peu de poids, j'ai essayé ça et je me suis senti mieux.

Le Devoir. Vous me dites qu'un type comme Montignac peut avoir de l'influence sur un grand chef?

D. V. À un moment donné, je me suis beaucoup intéressé aux différents régimes, mais j'ai compris que si tu suis le régime Montignac et que tu t'entraînes sérieusement, je dirais que ça peut être dangereux. Ça en prend, des hydrates de carbone!

Le Devoir. Avez-vous appliqué les combinaisons alimentaires dans votre cuisine?

D.V. Parfois. Vous savez, Montignac est devenu très populaire, et j'ai des clients qui se sont mis à me demander de ne pas mélanger protéines et féculents. Moi, tout ce que j'apprends dans le domaine de la santé, je l'intègre dans ma cuisine. Par exemple, la crème et le beurre: je n'en ai presque pas dans mes plats. Pour les sauces, on fait réduire des jus de légumes ou des jus d'agrumes, on les émulsionne avec des huiles de première pression. Et ce n'est pas que les clients: les préoccupations de bien manger, aujourd'hui, c'est toute la société. Je pense que nous, les chefs, on est le reflet de tout cela, mais, plus encore, on est en avance. Mais nous devons dire un peu plus ce que nous faisons. Moi, ça fait huit ans que j'utilise du cerf de Boileau, qui est élevé en semi-captivité, ça fait des lunes que je n'utilise plus de saumon d'élevage... Ma clientèle ne le savait pas vraiment, alors j'ai demandé à mes serveurs de le dire aux clients. Ma cuisine est très santé depuis des années, mais aujourd'hui, ça intéresse les gens... Dans tout ça, mon but, c'est toujours que ma cuisine soit meilleure. Nous, les chefs, sommes avant tout des artistes du goût. On fait aussi attention aux espèces en voie de disparition, on ne les met pas au menu.

Le Devoir. Et les OGM?

D.V. J'aime mieux les boycotter, complètement. On ne sait pas où on s'en va avec ça. Perdre des variétés, si on pense à tous les légumes oubliés qu'on retrouve aujourd'hui, imaginez ce que ce sera dans 30 ans si on se met à mélanger les espèces — et pensez à la pollinisation involontaire par les OGM! S'ils veulent faire des expériences avec les OGM, qu'ils en fassent, mais qu'ils ne viennent pas nous polluer... S'ils trouvent une plante qui peut pousser dans le désert et nourrir l'Afrique, je serai d'accord. En dehors de ça...

Le Devoir. Être chef, ça prend une santé de fer?

D.V. Oui, à la base. Passer 16 heures debout devant les fourneaux... Malgré qu'on s'endurcisse, remarquez. Quand j'ai commencé, à 16 ans, on me demandait d'émulsionner avec 30 jaunes d'oeufs. Après cinq minutes, j'avais le bras mort, mais regardez mes avants-bras [il me les montre: impressionnant!], je les appelle mes avant-bras de Popeye! J'en ai brassé, de la hollandaise, dans ma vie!

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Sur cet éclat de rire, je suis repartie sous le ciel de Québec...

vallieca@hotmail.com

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