Voyages - Pourquoi pas en Afrique?
«Pourquoi, après tout, les Jeux olympiques ne se dérouleraient-ils pas en Afrique?»
Nous étions attablés dans un restaurant du quartier chinois montréalais. Comme tout le monde, nous avions parlé des attentats survenus à Londres la veille. Et des aléas de la politique internationale. Et de la césure de plus en plus profonde entre les pays nantis et ceux qui le sont moins. Et du choix de la capitale britannique par les autorités du Comité international olympique.C'est Jean qui a posé la question. Presque comme une boutade.
Jean Lessard n'est pas un deux de pique. Ni un idéaliste en mal de causes perdues. Il a été photographe, éditeur de magazines, propriétaire d'un journal. Il a beaucoup voyagé. Et il compte le faire encore longtemps.
L'idée est séduisante, en effet. Quelles ont été les villes finalistes? Paris, New York, Moscou, Madrid, dites-vous? Ce ne sont pas des bourgades, n'est-ce pas? Sur toutes les télés de la planète, à la une des journaux, leurs habitants, ceux de la Ville lumière en tête, ont exprimé leur «vive» déception de ne pas avoir été choisis, de ne pas avoir la possibilité de recevoir chez eux le nec-plus-ultra de l'athlétisme mondial ni les touristes qui viendront admirer leurs exploits.
Vous conviendrez avec moi que les Jeux olympiques, dans leur mouture contemporaine, c'est une grosse, une très grosse entreprise touristique. Presque — j'en entends soupirer quelques-uns — une chasse gardée des pays du G8. Depuis des décennies, la sélection des villes-hôtes a la plupart du temps privilégié des lieux situés dans des États dominants, économiquement forts et performants, qui savent faire et qui ont les moyens de savoir faire. Qui, en bout de course, peuvent profiter des retombées de tels événements... même s'ils doivent au préalable investir des sommes considérables dans leurs infrastructures.
Mais on ne prête qu'aux riches. C'est un cercle.
Pourtant, quand on écoute les ténors du mouvement olympique international, on entend des gens qui souhaitent un retour à la simplicité d'origine, un renoncement à l'extravagance et aux dépenses ruineuses. Entre vous et moi, s'agit-il de marketing ou d'utopie?
Ne nous racontons pas d'histoires: qui, à part la Chine, se dispute les premières places des Jeux, sinon les grandes puissances du modèle occidental (y compris le Japon et l'Australie)? L'olympisme n'appartient pas au Tiers-Monde, aux pays «émergents», comme on dit si bien dans les salons. Sans avoir, pour ce, échappé aux compétitions truquées, aux malversations de toute sorte, aux trafics d'influence, aux tricheries, au dopage et aux substances illicites, à l'hégémonie de l'argent et des commandites.
Nous sommes bien loin d'Olympie.
Vous êtes déjà allé à Olympie? Vous avez franchi le portique de son stade? Vous avez vu ses pierres millénaires et cependant modestes? Vous avez entendu, à des siècles de distance, les cris des spectateurs — car seuls les hommes étaient admis dans les gradins — venus des contrées les plus lointaines acclamer les pugilistes, discoboles et lanceurs de javelot qui recevaient une couronne de laurier en récompense de leurs exploits?
Vous souvenez-vous de ces temps? Vous souvenez-vous des paroles du baron de Coubertin? Vous souvenez-vous que seules la Suède, la Nouvelle-Zélande... et la Jamaïque lui donnèrent leur appui quand il présenta pour la première fois, en novembre 1892, dans un grand amphithéâtre de la Sorbonne, son projet de «rénovation» des Jeux olympiques?
Alors, pourquoi pas l'Afrique?
Elle n'a pas les ressources financières? Ni le savoir-faire? Athènes et toute la Grèce ont bien démontré récemment que la réussite des Jeux olympiques n'est pas que l'apanage des puissants et des fortunés. Et tous les sceptiques — Dieu sait qu'il y en avait! — ont été confondus...
Oui, pourquoi pas l'Afrique? Vous imaginez la révolution? Vous voyez le message? «L'essentiel n'est pas de gagner mais de participer», répétait-on jadis et naguère en faisant l'apologie des Jeux olympiques. Pourquoi l'adage ne s'appliquerait-il qu'aux athlètes et non aux pays? Et à ce continent mésestimé qu'est l'Afrique?
L'Afrique ne serait pas capable? Encore faudrait-il lui en donner la chance. Et les outils. Lisez et relisez Les Civilisations noires de Jacques Maquet.
L'Afrique ne demande qu'à être découverte. Pas avec les yeux ni les intérêts des coloniaux de tout acabit. Mais pour elle-même, pour ses trésors humains, pour son inépuisable fonds culturel. Pour sa résistance aux pires calamités. L'Afrique est un extraordinaire coureur de marathon.
Accorder la tenue de Jeux à l'Afrique demanderait confiance et audace. Et cela constituerait une autre renaissance de l'olympisme. Ce continent n'est pas que maladies, climats extrêmes, troubles politiques et terre à exploiter sans vergogne. Les citoyens et les touristes du monde entier le regarderaient d'un oeil différent. Et voudraient le visiter.
Si vous êtes allé en Afrique, si vous avez vraiment voyagé en Afrique, vous le savez.
Collaborateur du Devoir