C'est la vie! - Un homme et son péché

Alcôve de la virilité, antre de la solidarité masculine, les salons de barbier ont survécu aux perrons d'église désertés, à la fermeture des tavernes, aux rasoirs Gillette et à la coupe Beatle. On en trouve encore une cinquantaine à Montréal, humbles témoins de la vie de quartier et d'une époque où le code d'honneur masculin comprenait ce cérémonial de cape et de ciseaux, de blaireau et de lame de rasoir. On ne tend pas sa jugulaire à un inconnu sans arrière-pensée. Voilà pourquoi l'histoire des barbiers repose sur la confiance et la loyauté, à côté du crucifix, de la pin-up ou de l'orignal empaillé.
Il y a quatre ans, la documentariste Tally Abecassis et la directrice photo Claudine Sauvé se sont éprises des salons de barbier, des lieux comme des personnages. Le livre de photos Barbershops (Black Dog Publishing) est né du regard affectueux posé sur une époque qui perdure malgré la starbuckisation des commerces. «Ce sont de petits musées», signale Tally, qui a signé le film Warshaw sur la Main. «De nos jours, tout est tellement propre, beau et gentil. Les salons de barbier sont des univers masculins immunisés contre la touche féminine. Leurs femmes n'ont même pas le droit de venir y faire le ménage!» Le salon de barbier est aussi viril qu'une quincaillerie mais plus relaxant à fréquenter.Un hommage vintage à un univers plutôt kitsch, Barbershops livre des secrets que seuls les barbiers connaissent. Tally y voit une sorte de rite de passage: «Des gars plus jeunes y vont parfois pour retrouver le cachet, leur enfance, leur père, le souvenir de leur premier contact avec un milieu masculin. Épier les hommes qui parlent en regardant le Playboy sur la table... »
En anglais seulement
Le livre à caractère montréalais de Tally et Claudine cherche toujours preneur en français mais a été publié en Angleterre par une prestigieuse maison d'édition londonienne spécialisée dans les livres d'art, de photos et d'architecture. 4000 exemplaires plus tard, ce magnifique ouvrage au graphisme léché chevauche le documentaire et le journal de bord; on y retrouve quantité de citations de barbiers tirées d'une vingtaine d'heures d'entrevues. Travail ardu de séduction pour ces deux jeunes femmes au début de la trentaine qui pénétraient dans un monde en vase clos où ni leur sexe ni leurs cheveux longs n'avaient leur place: «Dès qu'on entrait, les clients cessaient de parler, rappelle Claudine. On entendait les mouches voler et le cliquetis des ciseaux. Il fallait y aller en douceur, casser la glace.» Les deux artistes détonnaient. «La clientèle n'est certainement pas branchée. On y trouve surtout des messieurs de 40 ans et plus. Nous avons eu un rapport privilégié avec ces barbiers, de vieux messieurs pour la plupart. Cette relation entre eux et nous est inhabituelle. Nous avons maintenant des oncles aux quatre coins de la ville», s'émerveille Tally.
Les deux auteurs féminines ont un faible pour le visuel et se sont laissé attirer par l'enseigne de barbier (dont l'origine reste nébuleuse), les chaises, les vieilles caisses enregistreuses, artéfacts d'une époque où la poussière se déposait en touches impressionnistes. Les sujets de conversation, eux, n'ont pas beaucoup vieilli: «Les conversations tournent autour de sujets masculins, écrit Tally dans Barbershops. Les salons de barbier deviennent des autels pour les éternels révélateurs de virilité: la chasse, la pêche, les gageures, le rasage, les autos, le sport.» Geneviève, une des rares «barbières» en ville, ajoute qu'on peut maintenant avoir des conversations plus intéressantes avec les clients: «On peut même échanger des recettes!»
Philosophie de salon
Les barbiers eux-mêmes sont des philosophes qui s'ignorent, gardiens de la sagesse du quotidien. «J'ai un client qui m'a dit l'autre jour: "C'est important, je vais à un mariage." J'ai répondu: "Quelle est la différence si tu vas à un mariage? Je vais couper tes cheveux de la même façon que si tu allais assister à des funérailles"», dit Marcel. Parce qu'il ne demande qu'une bonne paire de ciseaux et un peigne, le métier de barbier a surtout attiré les immigrants, d'Italie ou de Grèce, des pays où les barbiers jouaient un rôle prépondérant dans la société. «Ils sont à la fois des confidents, des psys, des analystes financiers, des prêteurs sur gage, des conseillers automobiles, une épaule, constate Tally. Ils font le lien entre les clients, demandent conseil aux uns et aux autres et retransmettent l'information.»
À propos de son canari, Antonio dira: «Ce n'est pas du bruit, c'est joli à écouter. C'était commun d'avoir un oiseau chez les barbiers en Grèce. Chez les barbiers, après la guerre, il n'y avait pas de radio ni de télé, alors ils avaient des oiseaux pour chanter.» Panagis, lui, est un poète qui troque le peigne pour le stylo: «Il y a des dieux. Parfois, je me demande pourquoi il y a 12 dieux. 12 apôtres. 12 à la douzaine dans les mesures. 12 mois. 12 heures du jour. 12 heures de la nuit. Personne ne m'a donné de réponse.»
Depuis la parution du livre Barbershops, deux salons de barbier ont fermé leurs portes. Les barbiers mettent la clé dans la porte dès qu'ils sucrent les fraises. Panagis, 73 ans, a décidé de se recycler en poète pour de bon et de trouver des réponses à ses douzaines de questions. Bob, l'antiquaire-barbier qui n'a jamais eu le téléphone (on attend son tour sur les chaises le long du mur), a tout vendu, même l'enseigne. Un bout de vie de quartier vient de s'éteindre sans que personne allume le moindre lampion.
«C'est important, cette relation qu'on a avec les petits commerçants», disent en choeur Claudine et Tally, qui préparent déjà un prochain ouvrage sur les commerces en voie de disparition. «Le café du coin, le barbier du coin, le quincaillier du coin, ça rend la qualité de vie plus belle. Et être reconnu quelque part, c'est valorisant. C'est par les petits commerces qu'on tombe en amour avec Montréal.» Par les beaux livres et les jolies demoiselles aussi.
cherejoblo@ledevoir.com
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La Life
Prego
Sur leur site, on peut lire que les cafés (coffee shops) ont historiquement procuré des interactions irrationnelles, subjectives, locales et sociales ainsi que de l'inspiration aux artistes, hipsters, musiciens, activistes, intellos et autres radicaux libres. Delocator (www.delocator.net) fait partie du mouvement anti-Starbucks, opposé à l'uniformité du goût, des lieux, des mentalités. La chaîne américaine compte 6000 cafés aux États-Unis et 10 000 autres à travers le monde. À la défense des cafés indépendants, Delocator permet aux usagers d'inscrire leur café préféré ou d'obtenir la liste des cafés indépendants pas loin de chez eux ou de leur lieu de travail.
À quand un Delocator québécois?
Je lance le bal avec un premier café ouvert depuis 18 mois à Montréal. Il n'y a même pas le téléphone; à quoi bon, on ne réserve pas, on passe. Les heures d'ouverture sont approx mais l'ambiance est nettement «tout le monde se connaît et poursuit la conversation entamée la veille».
Le Caffè Grazie Mille est tenu par Franco Gattuzo, un authentique «piment» qui prépare le freddo avec de petits glaçons et vend des truffes Valrhona à la caisse. Cette bande de fiers Ritals prépare aussi d'excellents paninis (prosciutto et dattes). Scooter friendly, portables aussi, le Grazie Mille est situé au 58 de la rue Fairmount, angle Clark. Ouvert du lundi au vendredi de 7h30 à 19h et la fin de semaine de 8h à 18h-19h.
Antiblogue
Finalement, les commentaires sur les commentaires de ce blogue sont trop nombreux. J'avais promis de reproduire les meilleurs mais je me limiterai à décerner la palme à Catherine Voyer-Léger et à Nadine Hénault pour leur analyse éclairante. Merci à tous les autres de m'avoir aidée à cheminer mais, au risque de faire entorse à la démocratie qui règne sur la blogosphère, j'appuie sur la touche mute pour écouter le chant des cigales. Si l'humanité jacassante doit absolument faire partie de l'expérience du blogue, considérez celui-ci comme un simili-blogue, un faux blogue, un blogue du dimanche ou un antiblogue. Ça reste gratuit et ouvert 24 heures sur 24.
www.ledevoir.com/blog/joblo
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Tenté: d'acheter une ampoule au bulbe argenté à la quincaillerie Hogg, rue Sherbrooke. De moins en moins quincaillerie, de plus en plus magasin de décoration, Hogg tient le fort malgré l'arrivée d'un Home Dépôt en bas de la côte, à Saint-Henri. Le vendeur m'a expliqué qu'il ne pouvait plus obtenir les ampoules en question parce que la compagnie qui les fabrique trouve qu'ils n'en vendent pas assez. Je fais quoi? Je boycotte le fabricant et je retourne à la lampe à l'huile?
Aimé: le refrain salin, les lamentations du vent dans les cordes raides des violons des îles. Cet album de portraits de violoneux des îles de la Madeleine est signé Sylvain Rivière et Maude G. Jomphe pour les photos. Têtes de violon (Éditions du Passage) est un hommage 64 fois rendu à un métier, un passe-temps, un art, une vocation transmise de père en fils (ou en fille) chez les Madelinots. L'écrivain natif de la Gaspésie, qui a adopté les îles depuis 22 ans, nous explique que cet héritage musical remonte aux pêcheurs bretons et basques, à la déportation des Acadiens, aux naufragés irlandais et écossais. J'aurais aimé offrir ce bout de mémoire vivante à mon grand-papa Alban, amateur de Paul Jones et de reels, qui a toujours rêvé de jouer du violon. Il aurait reconnu l'accent de cet ouvrage, celui de la vérité.
Dévoré: la dernière livraison d'Urbania (été 2005), qui porte sur le retour du rétro. La photo de Passe-Montagne et de Passe-Carreau qui s'embrassent annonce un dossier sur cette émission-culte des années 70-80, qui a marqué la génération des 20-30 ans. Aussi, un reportage photo sur les anciennes fresques commerciales qu'on retrouve sur les murs de brique montréalais. On signale même les réclames publicitaires qui mériteraient une cure de jouvence. Héritage Montréal est peut-être déjà sur le coup? À noter: une Vespa vintage 1964 en tirage dans le cadre d'un concours si vous vous abonnez à Urbania. www.urbania.ca.
Reçu: Policiers et pompiers en devoir, 1851-1977 (Publications du Québec). Je suis une fan de ces albums de photos qui relatent notre histoire en quelques mots et beaucoup d'images sépia. Celui-ci nous fait prendre conscience du danger qui entourait ces métiers, de la pauvreté de l'équipement et de la difficulté de s'approvisionner en eau pour éteindre les incendies. À l'origine, le mot «pompier» désigne les fabricants de pompes. Le sens s'étend au XIXe siècle à ceux qui actionnent les premières pompes à bras qui servaient à éteindre les feux. «Le pompage exigeait un effort soutenu de plusieurs hommes pour maintenir une pression suffisante.» Et l'air climatisé n'était même pas inventé...
Noté: que le film Warshaw sur la Main de Tally Abecassis sera diffusé à Télé-Québec dans le cadre des Grands Documentaires le 31 août à 14h et le 1er septembre à 15h. Tally a fait des entrevues durant un an avec les anciens employés de ce marché coloré, remplacé par un Pharmaprix branché.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.