Poilievre et le Bloc
Pierre Poilievre a fait des gorges chaudes du voyage du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui s’est rendu à Barcelone pour participer à la Conférence publique sur l’autodétermination des peuples, organisée par le parti politique européen Alliance libre européenne.
« Aujourd’hui à Québec, les gens s’inquiètent du coût de la vie, de l’essence et du logement. Que fait M. Blanchet ? Il est en Espagne, il se bat pour l’indépendance de la Catalogne », a ironisé le chef conservateur.
Ses députés ont bien ri, mais où est le problème ? Ce n’est pas comme si le chef du Bloc s’était absenté en pleine campagne électorale pour aller discuter de souveraineté en Europe. La Chambre des communes n’a même pas repris ses travaux. M. Poilievre semble trouver aussi difficile de s’intéresser à la fois à ce qui se passe au pays et dans le monde que de marcher en mâchant de la gomme.
On comprend que les aspirations de la Catalogne ou de l’Écosse sont sans intérêt à ses yeux, ni celles du pays de Galles, du Pays basque ou encore des îles Féroé, qui ont également dépêché des députés à la conférence. Un coup parti, faudrait-il aussi se pencher sur les états d’âme de l’Alberta ?
Bien entendu, chacun a le droit de choisir ses amis comme ses champs d’intérêt. En juillet dernier, l’ancien premier ministre Stephen Harper, qui préside l’Union démocrate internationale, laquelle réunit une soixantaine de partis de droite partout dans le monde, dont il souhaite resserrer les liens, s’est rendu lui aussi en Europe.
Il y a rencontré notamment le premier ministre hongrois, Viktor Orbán, chef du parti Fidesz, dont l’organisme Human Rights Watch a dénoncé les « attaques contre l’État de droit et les institutions publiques ». La Cour de justice de l’Union européenne a également jugé à plusieurs reprises que son gouvernement violait les lois européennes sur l’immigration. La Presse canadienne a vainement tenté de savoir si M. Poilievre souhaitait qu’Ottawa entretienne des liens plus étroits avec le gouvernement hongrois.
Au Canada même, le chef conservateur reproche à ce parti « supposément souverainiste » qu’est le Bloc québécois de se faire le complice du gouvernement Trudeau en étant « d’accord avec la taxe sur le carbone », alors qu’elle ne s’applique pas au Québec, qui s’est plutôt joint à un marché du carbone avec la Californie cinq ans avant l’imposition de la taxe fédérale.
En relève à son chef, toujours retenu en Europe, le leader parlementaire du Bloc, Alain Therrien, a préféré s’abstenir de répliquer à M. Poilievre, mais M. Blanchet sera peut-être moins stoïque à son retour.
Alors qu’au Canada et au Québec, les catastrophes causées par les changements climatiques se multiplient, on voit difficilement comment le « gros bon sens » que prêche maintenant le chef conservateur peut se concilier avec le laisser-faire en matière d’émissions de GES. Même à la Coalition avenir Québec, on semble l’avoir compris, c’est dire.
Les organisateurs du congrès conservateur n’ont pas pris le risque de vérifier si les délégués nieraient toujours la réalité des changements climatiques, comme ils l’ont fait en mars 2021. Cette prudence même a de quoi inquiéter.
Le Parti conservateur domine dans les intentions de vote partout au Canada, sauf au Québec, qui, tel le village d’Astérix, refuse obstinément de s’incliner devant le nouveau César.
Le dernier sondage Abacus Data crédite le PCC de 25 % des intentions de vote au Québec, soit presque 7 points de plus qu’à l’élection du 20 septembre 2021. Cela est encourageant, mais les votes conservateurs ont la fâcheuse tendance à ne pas se transformer en sièges.
En 2011, le PCC mené par Stephen Harper avait obtenu 16,5 % des voix au Québec, mais y avait fait élire seulement 10 députés sur 75, soit le même nombre qu’en 2019 avec 16 % des voix, ou en 2021 avec 18,6 %. Cela n’avait pas empêché Stephen Harper de former un gouvernement majoritaire.
M. Poilievre a très bien compris que le Bloc constitue son principal adversaire, mais quel est son meilleur allié ? Éric Duhaime ne demanderait pas mieux que de jouer ce rôle, mais les électeurs du PCQ sont déjà largement acquis par le parti fédéral et il serait mal avisé de faire ami-ami avec un adversaire du premier ministre Legault à l’avenir pour le moins incertain.
De son côté, M. Legault, qui s’est mouillé en vain à deux reprises en faveur des conservateurs, devrait maintenant avoir compris qu’il vaut mieux ne pas s’en mêler. Et puis, de son propre aveu, ses relations avec Justin Trudeau n’ont jamais été aussi bonnes.
En réalité, M. Poilievre semble vouloir éviter d’être redevable à qui que ce soit, pas plus au Québec qu’ailleurs au pays. De toute façon, en politique, les ennemis sont souvent plus utiles que les amis.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.