Ne gaspillez pas cet as (contre le risque de longévité)

Retirer plus tôt sa rente de la Régie des rentes du Québec (RRQ) pour investir dans ses propres placements est-il une stratégie payante ? Et si oui, pour qui, dans quelles circonstances ?

C’est la question que se pose Michelle, à l’aube de ses 60 ans. « J’hésite entre demander mes prestations de régie des rentes immédiatement (pour une rente de 800 $ par mois) ou attendre à 65 ans (pour une rente projetée de 1300 $ par mois). J’aimerais la demander dès que je serai admissible pour l’investir en parts égales entre mes REER et le CELI. Selon mes calculs, cela me permettrait d’accumuler 54 000 $ pour des voyages et des projets de retraite, ce qui me plaît comme idée. De plus, ce montant irait à mes enfants en cas de décès, ce qui n’est pas le cas de la RRQ. Est-ce que mon raisonnement tient la route ? »

Cette question appelle d’emblée un rappel fondamental. L’équation ne pourra pas être résolue en se limitant uniquement au calcul de la réduction de la rente sur les prévisions financières — soit 36 % entre 60 et 65 ans, une proportion perdue à vie, par ailleurs. Il est impératif de réfléchir aussi aux dimensions successorale et fiscale.

Des points fiscaux à ne pas oublier

Je ne connais pas la situation de notre lectrice, Michelle, dans son ensemble et n’insisterai jamais assez sur la nécessité d’une analyse complète pour faire un choix financier définitif comme celui-là. Par contre, dans tous les cas, y compris celui de notre lectrice, il est primordial de considérer la situation particulière de revenu et/ou d’emploi ainsi que la date ciblée pour la retraite. Michelle travaille-t-elle toujours ? Bénéficie-t-elle de revenus d’entreprise ou de location ? Trop souvent, les gens espérant de grands avantages par le biais d’un décaissement prématuré oublient de considérer que les rentes qu’ils recevront seront imposables.

Michelle mentionne vouloir cotiser à son REER (régime enregistré d’épargne-retraite), ce qui n’entraînerait pas d’impôt supplémentaire à payer. C’est vrai, mais la manoeuvre lui fera tout de même perdre des droits de cotisation inutilisés. Dans le cas d’une personne toujours à l’emploi à 60 ans, il est fréquent que les revenus soient, à cet âge, à leur niveau le plus élevé de sa vie active. On peut aussi penser que ses cotisations entre 60 et 65 ans seraient très avantageuses.

En ce qui concerne la proposition de contribuer à un CELI (compte d’épargne libre d’impôt) à partir de ces rentes imposables, elle ne tient pas la route sous l’angle de la fiscalité. Pourquoi payer de l’impôt sur des prestations de RRQ pour bénéficier d’un abri fiscal ensuite ? Il faudrait un rendement irréaliste pour ne serait-ce qu’annuler le coût fiscal du retrait.

Selon les informations fournies par Michelle, le fait de conserver la moitié de ses rentes dans un CELI lui permettrait de financer des projets de retraite et des voyages. Il est possible d’émettre l’hypothèse que ses revenus sont limités, mais dans l’idéal, mon conseil demeurerait tout de même de profiter de la rente complète à 65 ans, sans réduction, et de financer ses projets de voyage avec son revenu courant.

Deux as majeurs

 

Dans n’importe quel jeu de cartes, l’as est généralement un atout précieux. La durée des prestations garanties à vie ainsi que l’indexation des rentes de la RRQ sont deux as majeurs qui peuvent s’avérer payants dans de nombreuses situations de préparation à la retraite.

Comme Michelle le soulève, les prestations de la RRQ ne sont pas réversibles aux enfants, seulement au conjoint. Dans de rares cas, un état de santé aggravé pourrait effectivement militer en faveur d’une demande de rente dès 60 ans afin d’optimiser le patrimoine transféré.

En général, les gens sous-estiment leur espérance de vie, ce qui est probablement le cas de Michelle. En fait, les probabilités qu’une personne atteigne l’espérance de vie moyenne militent davantage vers l’option du décaissement des placements personnels en priorité pour, au contraire, repousser au plus tard possible le début des versements de la RRQ. En effet, si le portefeuille de placements s’épuise dans le temps, la RRQ, elle, offre une rente viagère indexée.

Les règles universelles n’existent pas en matière de finances personnelles, mais retenez tout de même le principe suivant : généralement, les personnes qui gagnent à demander la RRQ à 60 ans se limitent à celles qui n’ont pas d’autres options de financement à la retraite. Il règne beaucoup de confusion au sein de la population à ce propos. Le fait que Retraite Québec n’envoie plus le document Cap sur la retraite aux personnes de 59 ans et 6 mois depuis le printemps dernier devrait permettre de limiter les demandes de prestation trop hâtives.

Planificatrice financière, Sandy Lachapelle est présidente du cabinet indépendant Lachapelle finances intelligentes.
 



Une version précédente, qui indiquait que les instances gouvernementales devraient cesser d’envoyer automatiquement le formulaire de demande de la rente avant le 60e anniversaire de naissance a été modifiée, a été modifiée.

 

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo