Dans la canopée
L’été a débuté par une chute qui m’a terrassée à l’horizontale durant quelques semaines. J’ai testé le concept de la démarche d’escargot de nonagénaire, croisé Louise qui m’a souligné deux fois plutôt qu’une que j’avais pris un coup de vieille — Tu le dis ? Une crisse de chute, sans parachute —, agrippé le bras de mon B et passé mon chemin.
— C’est qui la vieille madame, mamou ? C’était malaisant…
— Bof. Une chanteuse de mon enfance. Le lobe préfrontal est peut-être déjà atteint ? Ça commence parfois comme ça ; ils n’ont plus de filtres. Le silence est un lubrifiant social qui a parfois ses mérites.
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Le moral était déjà au plus bas avant de m’enfarger sur une guêpe, les pensées charbonnées, les idées cendre ; comment faire de la limonade avec du citron sec ? J’ai fait du tilleul à la place. En infusion froide à l’écorce de citron vert avec une touche de sirop d’érable. C’est un breuvage silencieux, apaisant, loin du bruit ambiant.
De mon perchoir, une plateforme de cèdre entre ciel et terre, j’avais deux tilleuls en fin de floraison et un chêne encore dans la fleur de l’âge pour me tenir compagnie, la tête enfouie dans la canopée en écoutant Polo&Pan. Les arbres ne se chicanent jamais ; ils ont bien des choses à nous apprendre.
J’ai eu tout le temps voulu pour profiter de leur compagnie, me faire consoler, me relever et me plonger dans plusieurs ouvrages qui parlent d’eux, ces doux géants. J’ai testé l’efficacité de la pharmacopée forestière simplement en respirant et en laissant agir les phytoncides aux propriétés anti-inflammatoires et anticancer sur moi.
On nous a beaucoup parlé de forêts qui brûlent cet été, mais bien peu de l’arbre qui cache la forêt. De ses essences plurielles, de son intelligence racinaire, de sa capacité à communiquer avec ses pairs, à se défendre contre l’ennemi, et de son adaptabilité tout en maximisant la densification, un mot qui va devenir à la mode.
Or le tilleul est un arbre très radical, aussi différent du chêne qu’une femme diffère d’un homme. C’est l’arbre de l’abeille, l’arbre de la paix, dont les remèdes et les tisanes guérissent toutes sortes de tensions et d’angoisses…
En bref, je suis némophile depuis longtemps mais je l’ignorais. J’aime la forêt et ses secrets. Je ne me sens jamais seule entourée d’arbres. Je leur parle aussi. J’ai dû faire trop de mush quand j’étais jeune. Les spores laissent des traces, comme les cellules de mon B dans mon cerveau, un phénomène qu’on appelle le microchimérisme. Les psychiatres commencent d’ailleurs à évaluer les vertus de la mycothérapie. La science est souvent en retard sur les hippies qui parlent aux arbres.
Comme disent les Chinois : l’arbre tordu vit sa vie, l’arbre droit finit en planches.
L’arbre monde
Des scientifiques de l’Université de Chicago ont découvert qu’un seul arbre devant chez soi peut améliorer notre santé, explique le garde-forestier et vulgarisateur écologiste allemand Peter Wohlleben dans Ce que nous enseigne la forêt.
« Leur chimie est incroyable. Des cires, des graisses, des sucres. Des tanins, des stérols, des gommes, des caroténoïdes. Des acides résineux, des flavonoïdes, des terpènes. Des alcaloïdes, des phénols, des subérines ligneuses. Ils apprennent à fabriquer tout ce qui peut se fabriquer. Et l’essentiel de leur fabrication, nous ne l’avons toujours pas identifié », écrit aussi Richard Powers dans L’arbre monde, (Pullitzer, 2019).
Ce roman écologiste m’a non seulement captivée, mais fait comprendre la forêt par les sens et le coeur, du point de vue de l’arbre, un immense séquoia millénaire de Californie dans lequel se réfugieront de jeunes militants durant un an pour tenter de le sauver de l’appétit des compagnies forestières.
Powers s’adresse aux arbres : « Tenez bon. Il suffit de tenir un ou deux siècles. Pour vous, les gars, c’est un jeu d’enfant. Il suffit de nous survivre. Alors il n’y aura plus personne pour vous emmerder. »
Il faut dire qu’ils sont là depuis 300 millions d’années et qu’une semence peut rester dormante pendant des millénaires. Homo sapiens n’a que 0,1 % de leur ancienneté. « Ce monde n’est pas notre monde avec des arbres dedans. C’est un monde d’arbres, où les humains viennent tout juste d’arriver », poursuit Richard Powers.
Ils ont encore des choses à nous apprendre du côté de l’entraide entre espèces, de l’adaptation et de l’échange d’infos sans hargne sur leurs réseaux sociaux souterrains. « Nous savons à présent que les arbres communiquent et ont de la mémoire. Ils goûtent, ils sentent, ils touchent, ils peuvent même voir et entendre », explique Pat, la docteure en botanique du roman de Powers. « Nous commençons à comprendre les liens profonds entre les arbres et les humains. Mais notre séparation a poussé plus vite que notre connexion. »
« Et ces arbres se parlent en murmures »
Le forestier Peter Wohlleben nous explique comment les végétaux voient, capables de reproduire certains feuillages, d’entendre l’eau souterraine ou la musique, de ressentir de la douleur.
Par les synapses fongiques, la plasticité racinaire, les arbres sont connectés. « Il y a des cerveaux là-dessous, que nos cerveaux ne sont pas programmés pour percevoir », poursuit Powers dans L’arbre monde. « Si on relie assez d’arbres, la forêt devient consciente. »
Celui qui plante des arbres en sachant qu’il ne pourra jamais profiter de leur ombre a commencé à comprendre le sens de la vie.
Évidemment, on taxe les gens qui s’intéressent un peu trop à l’invisible, d’ésotériques. « La notion d’ésotérisme permet de dénigrer bien des choses que nous ne pouvons encore concevoir », rappelle Wohlleben (aussi auteur de La vie secrète des arbres) dont les best-sellers ont souvent été rangés dans la catégorie « spiritualité » en librairies parce que l’émotion y était trop présente pour être vraiment pris au sérieux. Il est pourtant allé rencontrer des chercheurs en botanique pour parler des arbres, des scientifiques qui ont étudié leurs sens.
Peter Wohlleben a même créé un des premiers cimetières forestiers d’Allemagne. On y choisit un arbre au pied duquel on sera inhumé un jour, sans tombe. La forêt est ainsi protégée… par des humains morts. Vivants, ils sont dangereux.
Le célèbre Tagore a écrit : « Les arbres sont l’effort incessant de la terre pour s’adresser au ciel qui écoute. »
Puisse le ciel nous faire entendre raison et les arbres obtenir le droit de vote.
Aiméce texte essentiel (signé Alexis Riopel), une entrevue avec la biologiste forestière Catherine Potvin, cet été : « La situation est si grave que Mme Potvin — une artisane, dès 2005, de l’initiative de l’ONU pour la réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts — pense désormais que les arbres ne nous seront d’aucun secours pour freiner les changements climatiques. Inutile de planter deux milliards d’arbres. C’était une bonne idée il y a 20 ans, mais maintenant, “il est trop tard”. “Il faut juste aider les forêts à ne pas complètement péricliter”. » Et elle rappelle que « si la compensation carbone est si prisée, c’est parce que ça ne nous demande pas de changer nos façons de faire », notamment en plantant des arbres pour prendre l’avion.
Savouré Le sang des arbres de François Landry, une sorte de Thoreau dans ses Laurentides, qui cultive patiemment sa forêt, nous la fait découvrir dans un journal de bord qui s’étire sur un an. « Pour un incivil, l’humanité peut être séduisante quand il la maintient à distance. »
C’est à la fois poétique et décapant, une critique sociale d’un érudit qui a pris le bois pour refuge et regarde notre monde de loin. Il nous donne envie d’aller le rejoindre. Et pourtant, les dérèglements climatiques viennent tout saccager sous la forme d’un dérécho qui secoue sa « cathédrale de verdure ».
Les quelques lignes consacrées à ce livre follement apaisant et diablement bien écrit ne sauraient rendre justice au labeur déployé. J’y reviendrai…
JOBLOG — Le triangle de l’inaction
Vous connaissez le triangle de l’inaction ? Le citoyen dit : que fait le gouvernement ? Le gouvernement dit : que font les industries qui polluent ? Les industries disent : mais nous produisons ce que les citoyens demandent !
La seule façon de stopper ce lavage de main collectif, c’est l’action qui crée des cercles vertueux d’influence.
Bel exemple et magnifique BD que Résister et fleurir de Jean-Félix Chénier, prof de science politique au collège de Maisonneuve, et de l’artiste peintre Yoakim Bélanger. Leur livre présente un projet dans HoMa qui défend un terrain vague contre Ray-Mont Logistiques, un terminal de transbordement de 10 000 conteneurs qui viendra éliminer des boisés luxuriants dans un îlot de chaleur montréalais.
Le cours « Utopie et dystopie » de Jean-Félix sert de prétexte pour aborder toutes sortes d’angles moraux et collectifs dans ce combat environnemental. Les références littéraires, philosophiques et même musicales éveillent l’intérêt. Et les dessins sont fabuleux.
« Utopies et dystopies sont là pour penser notre époque… Elles sont en quelque sorte des critiques du temps présent », dit le prof en se référant à Huxley et Le meilleur des mondes. Même le dialogue serait une forme d’utopie…
À lire sans faute.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.