Tous dans le même sac
Le gouvernement Legault est le premier à imposer par une loi une hausse du salaire de base des députés sans que l’Assemblée nationale soit unanime. Peu importe, c’est l’ensemble de la députation qui sera blâmée.
L’électeur moyen ne s’attarde pas aux détails de la joute parlementaire, il en retient simplement le résultat, en l’occurrence que les députés se sont octroyé une augmentation de 30 000 $ alors que lui-même voit l’inflation grignoter son niveau de vie mois après mois.
La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, faisait partie des nombreux absents au Salon bleu, mardi après-midi, quand le projet de loi 24 a été adopté. Mme LeBel est sans doute une femme occupée, mais peut-être trouvait-elle inconvenant de voter pour une hausse de 30 % au moment où le gouvernement offre 9 % sur cinq ans aux travailleurs du secteur public.
Il est vrai que, de façon générale, le service public n’est pas reconnu à sa juste valeur. Que cela soit justifié ou non, le contribuable trouve toujours qu’il n’en a pas assez pour son argent, même si, en sa qualité de consommateur, il accepte de payer les salaires souvent exorbitants versés aux top guns du secteur privé.
Cette perception est sans doute regrettable, mais elle aurait nécessité qu’on procède graduellement plutôt que d’imposer à la sauvette une augmentation sans commune mesure avec ce que reçoivent les députés dans les autres provinces, augmentation qui ne pourra que renforcer le préjugé à l’endroit de la classe politique.
Quand le gouvernement Couillard avait proposé une révision globale de la rémunération des députés, y compris de leur régime de retraite, qui aurait été à coût nul pour le contribuable, la Coalition avenir Québec avait pourtant crié à l’indécence, alors qu’il faudra désormais prévoir une dépense additionnelle de 5 millions par année.
Si, au moins, on avait profité de l’occasion pour prévenir une fois pour toutes la répétition d’un psychodrame qui revient périodiquement depuis des décennies, en créant un comité réellement indépendant, dont la décision serait exécutoire, au lieu de prendre prétexte de la recommandation d’un comité consultatif ad hoc dont le mandat avait été volontairement restreint.
Le ministre responsable du dossier, Simon Jolin-Barrette, voit cependant là une limitation inacceptable du pouvoir du législateur. Si jamais le comité voulait se montrer trop généreux envers les députés, il faudrait bien que quelqu’un puisse le ramener à la raison, n’est-ce pas ?
La commissaire à l’éthique, elle-même favorable à un tel comité, s’interroge depuis longtemps sur la situation de conflit d’intérêts à laquelle les députés s’exposent en déterminant eux-mêmes leur rémunération. Le gouvernement Legault, lui, n’a jamais semblé particulièrement préoccupé par les questions de cet ordre.
Sans surprise, aucun des députés caquistes, qui bénéficient tous d’indemnités en sus du salaire de base, n’a souhaité s’exprimer lors du débat sur le principe du projet de loi 24. Le seul qu’on a entendu est le whip du gouvernement, Éric Lefebvre, qui s’est plaint que sa charge de travail l’empêchait de voir sa mère plus d’une fois par année. Cela est assurément désolant, mais on voit mal comment l’augmentation de 42 000 $ à laquelle il aura droit lui assurera une plus grande disponibilité.
Le gouvernement peut raisonnablement espérer que ce triste épisode sera oublié quand les électeurs se rendront aux urnes en octobre 2026, mais les positions changeantes et ambiguës de Québec solidaire pourraient demeurer embarrassantes.
Le député d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc, a qualifié cet exercice d’autorémunération de « violation de tous les principes d’éthique de base », mais certains de ses collègues entendent néanmoins en conserver une partie et distribuer le reste à des organismes de leur circonscription.
Le député de Maurice-Richard, Haroun Bouazzi, qui fait partie du groupe, s’est fait demander quel pourcentage lui paraissait acceptable. Cela fera l’objet de discussions privées avec son épouse, a-t-il expliqué, tout en assurant qu’il agira avec la plus grande transparence.
Ses collègues et lui auraient tout intérêt à s’entendre sur un pourcentage donné, sans quoi on prendra un malin plaisir à comparer, d’une année à l’autre, la générosité des uns et des autres. Les trois députés péquistes, qui sont les seuls à devoir se contenter du salaire de base, ont réglé le problème en adoptant pour barème les augmentations auxquelles les employés du secteur public auront droit.
Paradoxalement, les libéraux, qui ont accepté la proposition gouvernementale d’entrée de jeu, n’ont pratiquement pas eu à se justifier. En réalité, cela devrait plutôt les inquiéter. Peu importe le sujet, plus personne ne semble s’intéresser à ce que le Parti libéral du Québec peut penser ou dire.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.