Tout s’enflamme, sauf le débat (bis)

Il y a deux semaines, j’écrivais sur la campagne électorale albertaine se déroulant sur fond de feux de forêt. Je remarquais, en résumé, qu’il était surréel qu’on puisse faire porter le débat politique sur autre chose que les changements climatiques alors que la fumée affectait la qualité de l’air jusqu’à Edmonton et Calgary. Ça s’expliquait, certes, mais ça ne se justifiait pas.

Mais le phénomène du déni politique face aux catastrophes environnementales est loin d’être exotique ou singulièrement albertain. En arrivant tôt mardi matin à Ottawa, j’ai eu, pour être honnête, un choc. Avec les feux de forêt dans la région, la fumée englobait la ville. Si Environnement Canada mesure habituellement la qualité de l’air sur une échelle de 1 à 10, les experts de la capitale ont capté l’équivalent d’un 14 durant la matinée. Les messages à la population, eux, parlaient d’un vague « 11 + ». Autrement dit, même nos outils de communication scientifique devraient être mis à jour pour qu’on puisse comprendre correctement l’ampleur de la situation.

Chaque personne réagit différemment à une telle concentration de fumée dans l’air. Si certains sont peu affectés, des collègues ont parlé de maux de tête et de respiration plus difficile. Après une heure en ville, j’avais la gorge irritée. En revenant à Montréal en soirée, j’avais l’impression d’avoir passé la journée dans la section fumeurs d’un restaurant d’antan. Ce n’est pas normal. Ce n’est absolument pas normal. Pour les personnes atteintes de maladies respiratoires, c’est particulièrement dangereux. Et pourtant, chacun a continué son chemin. Business as usual, sur fond de ciel orange.

Cela fait maintenant plus d’un mois que le Canada brûle, région par région. L’Alberta, l’Ontario, le Québec, l’Atlantique. Depuis le début, ces feux font l’objet d’une couverture médiatique internationale importante. Je vais le dire : plus importante qu’au Canada même.

Sauf depuis quelques jours. La situation prend désormais plus de place, politiquement parlant. Le manque de pompiers commence à être gênant, nos élus doivent désormais compter sur l’aide des Français et des Américains. La Croix-Rouge recueille activement des dons pour les évacués. Non seulement la fumée a englouti Ottawa, mais l’effet de la pollution s’est aussi fait sentir dans les grandes villes du centre du pays que sont Montréal, Kingston ou Toronto. Ça sentait le brûlé jusqu’à New York mercredi. Et quand les grandes villes centrales sont affectées par un problème, ce problème cesse, n’est-ce pas, d’être « régional ».

Soudainement, on commence à prononcer, du bout des lèvres, les mots « adaptation climatique ». Cette expression encore le plus souvent absente de nos débats politiques nous rappelle que, même si l’on doit accélérer les efforts pour ralentir les changements climatiques, leurs effets nous affectent déjà. Il faut absolument cesser d’être surpris par leurs conséquences, à chaque tempête de verglas, chaque inondation, chaque crise de feux de forêt (et je ne parle que de ce printemps), et commencer à investir sérieusement dans la résilience de nos communautés.

Cette semaine, les partis d’opposition, à l’Assemblée nationale, ont annoncé vouloir se pencher sur la question. Il est plus que temps d’y arriver. Parce que les phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents sont nécessairement coûteux, sur le plan environnemental, sur le plan économique, sur le plan humain. Mais ils sont encore plus onéreux lorsqu’on les affronte mal préparés.

Les municipalités, « créatures des provinces » dans notre système politique, ont besoin d’assistance pour construire des systèmes d’égouts capables d’accueillir des pluies diluviennes, protéger les berges contre de possibles inondations, multiplier les espaces verts pour amenuiser les effets des canicules. Il nous faut de la climatisation dans les écoles, les hôpitaux, les résidences pour aînés. Des règlements municipaux qui limitent l’étalement urbain en milieux humides. Et j’en passe.

Avec le phénomène El Niño qui commence, l’été s’annonce chaud. On le sait, les périodes de chaleur extrême tuent, particulièrement les plus âgés, les plus vulnérables, et les plus pauvres. Alors, on fait quoi ? On se montre surpris, encore, de la prochaine vague de chaleur meurtrière ? On se prépare à râler (« Ah ouais, les changements climatiques, encore, oh là là ») ? Ou est-ce qu’on se prépare ?

Petite nouvelle, en terminant. Une étude publiée mardi a révélé que l’océan Arctique pourrait être dépourvu de glace en été dès 2030, soit une décennie plus tôt que prévu par les estimations précédentes du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Et une fois l’Arctique fondu, la chaîne d’effets sur le climat sera irréversible — à moins d’actions draconiennes pour réduire nos émissions globales. Actions draconiennes qui ne semblent pas « réalistes » aux yeux des techno-optimistes qui nous gouvernent actuellement.

Sauf que la définition politique de « réaliste » et de « réalisable », au final, dépend de nous tous. Il peut devenir impensable pour un dirigeant de ne pas agir sérieusement pour contrer les changements climatiques et nous adapter à leur réalité — lorsque l’opinion publique le lui fait sentir.

De la Côte-Nord à l’Abitibi en passant par le Saguenay, la Haute-Mauricie et l’Outaouais, de Chibougamau à Ottawa en passant par Montréal, il suffit d’avoir respiré dehors cette semaine pour avoir l’environnement en tête. Se peut-il que derrière l’odeur de bois brûlé on puisse aussi sentir quelque chose comme une prise de conscience dans l’air ?

Anthropologue, Emilie Nicolas est chroniqueuse au Devoir et à Libération. Elle anime le balado Détours pour Canadaland.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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