L’informatique spatiale prend forme chez Apple

À l’inverse de celui de Meta, le casque Vision Pro s’utilise mieux en position assise.
Photo: Apple À l’inverse de celui de Meta, le casque Vision Pro s’utilise mieux en position assise.

La réalité virtuelle et la réalité augmentée encore plus : il faut le voir pour le croire. Comme Apple lance un casque qui combine les deux, il fallait laisser quelques médias l’essayer. Et s’il existe en 2023 un meilleur exemple de la dystopie dans laquelle nous vivons, on ne saurait pas où le trouver ailleurs qu’en pleine Silicon Valley.

Le nord du Québec est en feu. À Montréal, les premiers témoins de ce ciel orangé vivent à la belle étoile, dans des tentes de fortune. Les sans-abri sont plus nombreux que jamais dans les villes. Peut-être un effet d’une pandémie mondiale, peut-être pas.

Il y a une différence entre les sans-abri montréalais et ceux qui vivent dans le nord de la Californie. Dans l’Ouest américain, ils sont plus nombreux, d’abord. Et plusieurs vivent dans des véhicules récréatifs. On en voit des dizaines garés en permanence en bordure de rue et sous les échangeurs autoroutiers de la baie de San Francisco.

Un résident croisé sur la route de Cupertino, où se trouve le siège social d’Apple, a résumé non sans cynisme la situation : selon lui, Apple, Google, Facebook et les autres n’organisent plus leurs conférences à San Francisco parce qu’ils ne veulent pas exposer leurs visiteurs à toute cette misère.

Ils préfèrent s’évader dans des campus de rêve en marge de la ville qui a déjà été l’eldorado des routards sans toit ni loi à la Jack Kerouac. À ceux pour qui cet éloignement ne suffit pas, on pourra désormais recommander le Vision Pro. Pour se détacher encore un peu plus de la réalité immédiate.

Réalité mixte 101

 

Le Vision Pro d’Apple est un casque de réalité mixte aux racines québécoises. Il combine des éléments de réalité virtuelle — un environnement numérique entièrement immersif — et de réalité augmentée : les objets de votre environnement physique immédiat et ceux de l’environnement numérique sont présents en même temps.

On vous prévient tout de suite : les critiques de la part des médias spécialisés seront assurément dithyrambiques. Le produit fini est d’un raffinement qui supplante tous les autres gadgets du genre. On voit bien son potentiel. Encore faut-il qu’il se réalise.

Avec l’appareil sur la tête, vous pouvez lancer des applications et les voir apparaître comme autant de bulles qui flottent entre vous et le mur au fond de la pièce. Vous pouvez accrocher à ce mur une vidéo interactive d’un dinosaure qui explore son monde préhistorique. En réalité mixte, ce dinosaure peut défoncer le quatrième mur et pénétrer dans votre salon. Vous pourrez lui gratter le menton (les tyrannosaures sont plus faciles à apprivoiser qu’on le pensait).

Avec douze caméras et capteurs intégrés, dont quatre qui fixent nos yeux, le Vision Pro identifie et comprend nos gestes avec une précision étonnante. On commande le casque avec le regard et les doigts. On fixe une icône, un bouton ou un objet des yeux pour le sélectionner, puis on pince les doigts comme on cliquerait sur le bouton de la souris.

On peut déplacer, agrandir ou fermer les applications en gardant les doigts pincés. On peut leur parler. On peut jumeler un clavier, une souris ou un contrôleur de jeu vidéo par Bluetooth pour pousser un peu plus loin cette interaction. Pour rédiger un courriel, par exemple. Déjà, presque tout ce qu’on peut faire sur un Mac, on peut le faire avec un Vision Pro.

Le casque n’a que deux heures d’autonomie par charge. On peut aussi l’utiliser tandis qu’il est branché à une source d’alimentation.

Asseyez-vous…

Des casques plus ludiques comme le Quest de Meta s’utilisent quand on est debout. Le Vision Pro s’utilise mieux en position assise. Il est très confortable. Un peu lourd vers l’avant, peut-être. Mais pas besoin de frontières virtuelles pour éviter de se cogner contre un vrai mur : les gens et les objets situés à proximité apparaissent tout naturellement dans notre champ de vision.

La sensation de nausée provoquée par la réalité virtuelle est minimale. Apple dit que c’est grâce à la très brève latence de seulement 12 millisecondes de son système. C’est le temps nécessaire pour réagir aux mouvements de l’utilisateur. Les casques qui lèvent le coeur des utilisateurs ont un temps de réaction plus long.

Durant un appel vidéo avec une ou plusieurs autres personnes, le visage de celles-ci apparaît dans des bulles flottantes. Les gens qui utilisent une caméra sont présentés tels quels. Les gens qui ont un casque sont représentés sous forme d’avatar, ce qu’Apple appelle leur « persona ». C’est une version numérisée d’eux-mêmes créée par le casque lors de sa première utilisation. Une persona reproduit les gestes des yeux et du visage avec un réalisme étonnant.

Il faudra développer une étiquette de la bonne utilisation de ces casques. Le Vision Pro peut créer des vidéos stéréoscopiques (nommées « vidéos spatiales »), à condition qu’on le porte. Filmer son enfant qui souffle son gâteau d’anniversaire avec un casque masquant son visage, ce n’est pas l’idéal.

Élément déclencheur recherché

 

Apple souhaite que les créateurs des centaines de milliers d’applications qu’on trouve déjà dans l’App Store de l’iPhone et de l’iPad ajoutent une composante immersive à leurs créations. La plupart sont déjà compatibles avec le Vision Pro : leur fenêtre flotte devant nos yeux plutôt que sur un écran plat.

Apple ne dit pas si son nouveau casque sera vendu au Canada. Il le sera tôt en 2024 aux États-Unis, à un prix de détail de 3499 $US. Ceux qui crient à l’arnaque n’ont pas essayé d’acheter un casque HoloLens 2 de Microsoft. Il coûte entre 3500 $US et 5200 $US. Son interface n’est pas aussi soignée.

La clientèle visée par Apple avec le Vision Pro est presque celle de Microsoft : les gens qui voient cet appareil remplacer leur bureau à la maison, d’abord. Et puis leur cinéma maison, leur console de jeux vidéo, leur abonnement au salon de Pilates ou de méditation, et quoi encore.

Contrairement à Meta, Apple n’assujettit pas son avenir au succès de son casque. Mais le défi est le même : trouver l’application qui fera courir les foules. Cet élément déclencheur qui convaincra des acheteurs pas encore convaincus que cette technologie répond à un besoin véritable. Sinon, tout le reste y est.

Déconnexion du réel comprise.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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