Vinegar Sammy

Je suis bon public et grand consommateur d’humour politique. Ma caricature favorite me concernant était celle d’Ygreck dans Le Journal de Montréal. Alors que j’étais ministre du gouvernement Marois, il nous montrait dans une voiture, Pauline au volant, en train de reculer pendant que nous recevions une pluie de tomates. Ygreck me faisait dire : « Tu vois, Pauline, on fait l’unanimité ! »

Je crois au droit à la méchanceté dans l’humour. Mais une équation simple doit être respectée : la blague doit être au moins aussi drôle que méchante, sinon elle n’est que méchante. Plus généralement, si l’humour ne grince pas au moins un peu, il ne fait pas son travail. Le monde politique, comme la société et les relations de couple, offre un matériau riche en contradictions, en paradoxes, en mensonges et en hypocrisies qui méritent qu’on les expose en exploitant leurs ressorts comiques.

C’est dans cet état d’esprit que je m’étais présenté, l’automne dernier, au spectacle de Guy Nantel « Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire… ». Revenu de sa défaite dans la course au leadership du Parti québécois, Nantel allait casser du sucre sur la formation que j’avais dirigée. J’ai été servi. Nantel revêt sur scène le personnage d’un je-sais-tout baveux et condescendant qui nous fait la leçon sans discontinuer. Mais il respecte l’équation. Plus c’est méchant, plus on rit, car on rit aussi de lui, de sa suffisance. Lorsqu’il exagère, on comprend bien qu’il exagère. (À moins d’être vraiment obtus, ce qui arrive.) On saisit aussi qu’il ne dit pas le contraire de ce qu’il pense vraiment. Il en rajoute, c’est tout.

Ayant survécu, donc, au spectacle de Nantel, je me suis dit que j’étais prêt à affronter une plus dure épreuve encore, soit le nouveau spectacle de Sugar Sammy. J’ai eu l’idée de me faire accompagner par un professionnel de l’humour politique : Guy Nantel. Il a trouvé l’idée fameuse et nous nous faisions une joie de rire à nos dépens puis d’aller rencontrer Sammy dans sa loge pour partager nos fous rires avec lui.

Lorsque le spectacle fut terminé, Guy et moi nous sommes levés et, sans même échanger une parole, nous sommes dirigés vers la sortie. Nous en étions venus à la même conclusion. On ne voyait vraiment pas comment on pourrait faire semblant, devant l’artiste, d’avoir apprécié sa prestation.

Ce qui nous a d’abord frappés est la paresse. J’estime à vue de nez que Sugar Sammy ne présente que 30 % de nouveau matériel par rapport à son spectacle précédent, que j’avais vu et avais, globalement, apprécié. Presque la moitié de la représentation est consacrée à des dialogues avec des membres de l’assistance, ce qui brise le rythme, oblige à tendre l’oreille, et surtout exempte l’humoriste de la tâche d’écrire des textes. Sur le plan de la prise de risques, essentielle en humour politique, on peut rapporter quelques blagues sur les trans, dans la veine ouverte par Dave Chappelle. Mike Ward, dans son spectacle Noir, prend mille fois plus de risques et s’en tire avec brio. (Sammy en fait d’ailleurs sur scène un hommage senti.)

En fin de spectacle, Sugar affirme qu’il rit également de tous les groupes. S’il le croit, c’est qu’il souffre d’un grave déficit d’attention. Lorsqu’il rit avec un spectateur indien de la sévérité de leurs parents, c’est un humour partagé. Lorsqu’il dit des Français présents qu’il trouve leur accent gai, l’empathie est moins perceptible. (Il en fait une bonne imitation, on doit le dire.) Lorsqu’il rit des Américains, républicains et démocrates (les derniers sont wokes, les premiers sont gentils, mais peuvent vous tuer), la distance est nette.

Je me suis demandé, Sugar Sammy ayant peut-être noté dans les premiers textes critiquant son spectacle qu’il ne riait jamais des Anglo-Québécois, s’il avait corrigé le tir en leur consacrant quelques minutes. Non. Dans un échange avec l’un d’entre eux dans la salle, il lui dit que son français est trop bon pour les gens du West Island. Point.

C’est net : Sugar Sammy met les francophones dans une classe à part. Une classe inférieure. Et on apprend des choses. Dans une charge contre le prétendu féminisme des francophones, il affirme qu’« aucune Blanche n’est venue à la défense de Joyce Echaquan, de Dominique Anglade et de Yolande James ». Sammy, vivant à l’étranger pendant l’épreuve, n’a peut-être pas perçu l’énorme vague de sympathie que l’affaire Echaquan a suscitée. Mais il aurait eu vent d’attaques racistes contre Anglade et James ? Lesquelles ? Intrigué, j’ai cherché de quoi il parlait, même auprès de collègues anglos, sans succès.

L’humoriste ne se renouvelle pas lorsqu’il affirme que les francophones parlent un mauvais français. C’est un préjugé courant dans l’anglosphère, qu’il relaie with relish. Il affirme d’ailleurs qu’avec ce spectacle bilingue qu’il présentera en région, il apprendra aux demeurés que nous sommes à bien parler l’anglais et à bien parler le français. Nos handicaps langagiers sont peut-être induits par notre écoute de la télévision francophone, sur laquelle Sammy étend un épais mépris. Il invite ses spectateurs anglophones à écouter TVA en particulier pour rire avec lui de la médiocrité qu’il y trouve. Lorsqu’il nous rappelle qu’il a gagné deux Olivier et un trophée Artis, on saisit très bien qu’il n’y trouve pas matière à s’enorgueillir d’être le mouton noir d’un troupeau pour lequel il a un attachement, mais plutôt une occasion d’être hilare face aux cocus contents que nous sommes.

Le premier spectacle de Sammy m’avait semblé caustique envers les Francos. Avais-je tort de le trouver bon enfant ? Celui-ci m’a semblé plus clairement hargneux, d’un mépris désinhibé. D’ailleurs, Sammy nous avertit en début de spectacle que sa tournée n’a qu’un objectif : payer son chalet. En Ontario. Il revient sur ce thème en fin de prestation. Il demande son nom à un spectateur qui répond « Benoît ». « Non, rétorque Sammy, tu ne t’appelles pas Benoît. Pour moi, tu t’appelles 80 $. » On n’en doute pas un instant.

Père, chroniqueur et auteur, Jean-François Lisée a dirigé le PQ de 2016 à 2018. | jflisee@ledevoir.com / blogue : jflisee.org

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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