Trop de routes, trop de dépenses

La saison des travaux routiers est bien entamée, avec son lot d’entraves semées un peu partout. Les cris à la mauvaise planification se feront entendre comme le refrain bien connu d’un classique déjà usé. N’en déplaise à ceux qui raillent quotidiennement le travail des planificateurs de l’entretien des infrastructures, il est très difficile de maintenir un niveau acceptable de fluidité avec un chantier d’une telle ampleur.

D’ailleurs, n’est-il pas ironique de constater que ceux qui se plaignent de l’état lamentable de nos routes sont les mêmes qui râlent contre les entraves causées par les travaux de remise en condition du réseau routier ?

Tous ceux qui gagnent une élection pour la première fois se disent qu’ils feront mieux que leurs prédécesseurs. Tous affirment haut et fort que, sous leur gouverne, les problèmes de coordination des travaux seront — enfin ! — chose du passé. La même réalité les frappe tous au visage, et ils n’ont bientôt d’autre choix que de conclure, comme leurs prédécesseurs, que tout n’est pas aussi simple que ça, finalement.

Les municipalités ne mènent pas leurs travaux en vase clos. Ils côtoient ceux du gouvernement provincial, du gouvernement fédéral, mais aussi ceux d’autres organisations, comme Énergir, Hydro-Québec ou encore la Commission des services électriques, comme à Montréal. Sans compter les nombreux chantiers privés qui doivent empiéter sur le domaine public pour mener à bien leurs travaux. La somme de ces informations à intégrer dans une planification bien ordonnée se traduit rarement en un long fleuve tranquille.

Lorsque j’ai été élu maire pour la première fois, l’une de mes premières questions au directeur des travaux publics avait été de savoir combien on devait investir par année pour remettre le réseau routier complet en état. Quelques semaines plus tard, j’avais enfin reçu sa réponse.

Dans Rosemont–La Petite-Patrie, il y a 250 kilomètres de route et 400 kilomètres de trottoir. Remettre ce réseau en état nécessiterait 14 millions de dollars par année pendant plus de 15 ans. Le problème, c’est que nous ne disposions en réalité que de 2,5 millions par année pour nous occuper de l’entretien des routes et des trottoirs.

Le Québec compte plus de 61 468 kilomètres de routes. C’est 20 000 kilomètres de plus qu’en Ontario, qui compte 14,7 millions d’habitants contre 8,4 millions pour le Québec. La différence vient du fait que la densité de la population est concentrée davantage dans le sud de l’Ontario. Au Québec, on aime occuper notre territoire.

La semaine dernière, je vous parlais de la responsabilité de l’urbanisme dans notre dépendance à l’automobile. Voilà un résultat probant de cette mauvaise planification du territoire. Plus on se disperse, plus on doit construire des routes. Plus on a de routes, plus ça coûte cher et moins on a la capacité collective de maintenir le réseau en bon état.

Bien entendu, il faut arrêter de craindre de parler de densité. C’est la première clé de la solution. Si on veut se sortir de ce cercle vicieux, on doit mettre fin à la construction de nouvelles routes ou à l’élargissement des routes existantes. Nous n’avons plus les moyens de faire plus. Surtout si nous voulons aider nos concitoyens à faire un transfert modal vers le transport collectif et actif. Il faut veiller à leur donner les moyens de le faire.

Les différentes sociétés de transport au Québec croulent sous les pressions budgétaires. À raison, le coût du transport collectif est assumé à 46,3 % par les usagers. Ce qui est absolument aberrant quand on pense que 100 % des coûts de l’entretien et de la construction des routes sont assumés à 0 % par les usagers. Certains diront qu’ils y contribuent déjà à travers leurs taxes et leurs impôts. Oui, tout à fait, mais ceux qui n’utilisent pas le réseau routier paient eux aussi des taxes et des impôts.

N’est-il pas extraordinairement contradictoire de financer majoritairement le transport collectif par une cotisation individuelle, mais de payer l’usage individuel des routes à l’aide d’un financement collectif ?

Le problème, c’est que nous voyons le transport collectif comme une dépense et le développement du réseau routier comme un investissement. Résultat : dans les infrastructures de transport, le gouvernement du Québec investit à peine plus de 30 % pour le transport collectif et dépense près de 70 % pour le réseau routier. En Ontario, là où les routes sont plus belles, c’est plus de 76 % des investissements qui vont en transport collectif et 24 % en dépenses pour les routes.

Nous sommes pris avec un réseau de routes trop important. Si on veut se sortir du trou budgétaire que cela nous impose, on doit revoir notre vision de la mobilité. Plus il y aura de solutions de rechange à l’auto, plus on améliorera la mobilité des personnes. L’impact direct sera une réduction de la pression sur le réseau et des dépenses reliées à son entretien.

Penser le transport collectif comme un investissement, c’est aussi réduire la part que doit payer l’usager pour l’utiliser. Il faudra bien un jour remettre en cause la gratuité d’un réseau routier trop imposant, dont les coûts d’entretien faramineux dépassent notre capacité collective de les payer. Cette contradiction intenable du financement du transport est la deuxième raison qui maintient notre dépendance à l’automobile, après le manque de densité. En attendant, il faudra encore une fois nous résoudre à composer avec de très nombreuses entraves, et ce, pendant les mois et même les années à venir.

P.-d.g. de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, professeur et chercheur associé, François William Croteau a été maire de Rosemont–La Petite-Patrie.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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