Le ridicule ne tue pas
« On va toujours trop loin pour ceux qui ne vont nulle part », disait Pierre Falardeau. Depuis l’adoption de la loi 22, en 1974, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour qui la moindre mesure visant à imposer la préséance du français était excessive.
Bien entendu, tout le monde est d’accord pour en faire la promotion, à la condition que son utilisation demeure facultative et que cela ne soit pas plus dérangeant qu’un lampion allumé à l’oratoire Saint-Joseph.
Il était donc inévitable que la mise en vigueur de l’article de la loi 96 selon lequel les services publics doivent être rendus exclusivement en français, y compris ceux qui sont offerts par les municipalités, provoque des remous.
Seuls les membres de la communauté anglophone dite historique, les Autochtones de même que les immigrants qui communiquaient déjà avec les administrations publiques avant le 13 mai 2021 pourront utiliser l’anglais.
Il n’y a cependant aucune restriction à son utilisation « lorsque la santé, la sécurité publique ou les principes de justice naturelle l’exigent ». En aucun cas les municipalités qui bénéficient d’un statut bilingue ne sont tenues de communiquer exclusivement en français avec leurs résidents.
Il est vrai que tout cela pourrait compliquer la vie aux nouveaux arrivants, à tout le moins leur causer une certaine anxiété, même si le gouvernement Legault se fait fort de ne recruter à l’avenir que des immigrants qui maîtriseront déjà le français, à quelques exceptions près.
Même si d’aucuns vérifieront si une personne fait bel et bien partie de ceux qui ont le droit d’utiliser l’anglais, il est toujours un peu gênant de faire une fausse déclaration, à plus forte raison quand on s’adresse à un représentant des autorités de son pays d’accueil, encore que plusieurs ne s’en priveront sans doute pas.
Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, reconnaît qu’une période d’adaptation sera nécessaire, et il est à espérer que la nouvelle règle sera appliquée avec discernement et humanité.
On aurait très bien pu accorder aux nouveaux arrivants un délai de 12 ou même 24 mois, plutôt que 6, sans que cela amoindrisse la portée du message que le gouvernement veut envoyer, mais le tollé aurait été le même. Les anglophones de souche s’offusquent qu’on puisse leur demander s’ils ont droit à des services en anglais, mais comment faire la distinction avec les personnes qui ne l’ont pas sans poser la question ?
La Ville de Côte-Saint-Luc a choisi de ridiculiser la chose sur son répondeur, mais les Québécois ont appris il y a longtemps que le ridicule ne tue pas, alors que l’imprudence peut le faire. Le réseau américain CBS a déjà rapporté que « la police de la langue » avait arrêté un perroquet parce qu’il criait en anglais. Aux yeux de certains, c’est l’entêtement de cette tribu qui s’accroche au français depuis des siècles sur un continent où l’anglais est roi qui est ridicule.
Les défenseurs du libre choix de la langue partout et en toutes circonstances semblent plutôt défendre le droit de la communauté anglophone d’assimiler les immigrants en misant sur la force d’attraction de l’anglais, qui annulerait pratiquement tous les efforts déployés pour les convaincre de s’intégrer à la majorité francophone.
Depuis l’adoption de la loi 101, on a reproché aux gouvernements successifs, y compris à ceux du PQ, de donner le mauvais exemple en renforçant par ses communications bilingues le sentiment qu’il est tout à fait possible de vivre au Québec sans que l’ignorance du français soit un inconvénient.
Pour une fois qu’il y en a un qui ose, on serait malvenu de lui en faire le reproche, même si le gouvernement Legault refuse d’adopter d’autres mesures qui seraient plus structurantes, comme l’extension des dispositions de la loi 101 au niveau collégial.
Partout dans le monde, les immigrants sont tenus de communiquer avec les organismes publics dans la langue de leur pays d’accueil, sans bénéficier d’une période de transition durant laquelle ils peuvent en utiliser une autre pendant qu’ils apprennent la nouvelle.
Le « contrat moral » qui leur est proposé les engage à accepter que le français constitue la langue commune du Québec. En retour, l’État a l’obligation de leur donner les moyens de l’apprendre. C’est donnant-donnant.
La ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, a entrepris de faire le ménage dans les services de francisation, dont la vérificatrice générale avait qualifié l’organisation de « fiasco ». Lancé la semaine dernière, Francisation Québec entend offrir un guichet unique qui devrait mettre fin à l’éparpillement des programmes qui constituait un capharnaüm kafkaïen, dont les participants sortaient trop souvent sans avoir appris grand-chose. Si le ridicule pouvait tuer, on le saurait depuis longtemps.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.