Le Hummer de Legault
Ça se sent. Le premier ministre François Legault et son superministre Pierre Fitzgibbon veulent laisser une trace durable de leur passage à la tête du Québec. Cette trace se trouvera vraisemblablement à Bécancour. Et c’est parti pour être la trace d’un Hummer.
Celle d’un Hummer EV, pour être précis. Ce véhicule est, au choix, une camionnette ou un VUS, tous deux électriques. Ils ont été lancés en grande pompe au printemps 2021 par la société General Motors. Le Hummer original était un véhicule à l’épreuve de tout, d’abord conçu pour l’armée américaine, qui est devenu au fil des années 2000 l’incarnation même de la décadence automobile nord-américaine.
Selon où vous vous situez moralement par rapport à cette question, le Hummer était à l’époque soit le summum du véhicule cool, soit l’apogée du ridicule et du gaspillage.
Le Hummer EV joue sur la même dualité. Et s’il peut représenter pour certains l’aboutissement du génie automobile américain, pour ceux qui croient moins à ce genre de marketing, il est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire si on souhaite que la stratégie de décarbonation du Québec soit un succès.
Vallée du gaspillage énergétique ?
Fidèle à sa filiation, le Hummer EV reprend à son compte l’image d’excès et d’exagération qui a mené GM à faire faillite en 2009, puis à fermer sa division Hummer en 2010. GM est en bien meilleure santé financière aujourd’hui. Et comme son Hummer est désormais électrique, on pense pouvoir laver sa mauvaise réputation de véhicule inutilement énergivore.
Sauf que, même électrique, ce véhicule est un gaspillage d’énergie. Dans sa version la plus superfétatoire, le Hummer EV est animé par une batterie de 212 kilowattheures. C’est énorme. Elle a deux fois la taille de la batterie d’un VUS électrique de taille comparable, capable d’obtenir au moins la même autonomie. C’est aussi trois fois la taille d’une batterie qui suffit pour animer une Chevrolet Bolt, la voiture électrique probablement la plus abordable sur le marché et que GM vient de retirer de son catalogue.
Ironiquement, un Hummer EV était justement sur scène à Bécancour la semaine dernière. Il figurait aux côtés du premier ministre François Legault et de tous les gens venus inaugurer la Vallée de la transition énergétique, le nom donné à une zone d’innovation qui sera créée dans la région située entre Bécancour, Trois-Rivières et Shawinigan.
GM a d’ailleurs précisé que les composants de batteries qui seront fabriqués dans cette région par son usine de Bécancour — construite conjointement avec l’équipementier sud-coréen POSCO et financée à hauteur de 300 millions de dollars par Québec et Ottawa — iront exclusivement à la fabrication de véhicules électriques de marque Buick, Cadillac, Chevrolet ou GMC. Y compris le Hummer.
Dans sa vision économique du Québec de demain, François Legault voit le Québec comme la batterie verte de l’Amérique du Nord. Pour y arriver, on demandera aux Québécois de se serrer la ceinture et de réduire leur consommation d’énergie. Une image répétée par le ministre de l’Énergie Pierre Fitzgibbon est celle d’un lave-vaisselle qu’on devra programmer pour qu’il ne fonctionne que de nuit, quand la demande en électricité est moins élevée.
Les ménages québécois changeront-ils leurs habitudes de consommation d’électricité si c’est pour permettre à GM de fabriquer des Hummer ?
Valeur ajoutée québécoise
L’an dernier, un haut dirigeant de GM vantait déjà les mérites de Bécancour pour assurer la transition électrique du secteur automobile nord-américain : on y accède facilement par bateau, par train et par camion. Son parc industriel est gigantesque, les terrains coûtent trois fois rien, et l’électricité est abondante et renouvelable.
Ça en fait un pôle d’approvisionnement de rêve pour les usines ontariennes et américaines qui assembleront les véhicules électriques de demain.
C’est probablement le meilleur moyen de transformer les ressources minières et énergétiques du Québec en matériaux rapidement exportables vers les États-Unis, pour entrer dans la composition de véhicules qui seront assemblés là-bas. Outre General Motors, on note l’intérêt du géant allemand BASF pour la région, qui souhaite aussi y installer une usine pour fabriquer également des composants de batteries.
Pendant ce temps, les fabricants du Québec d’autobus, de camions et d’autres véhicules spécialisés manquent de pièces — surtout des composants de batteries — pour compléter leurs propres véhicules.
La semaine dernière, l’Association de l’industrie électrique du Québec s’est dite ravie de l’annonce commune du gouvernement Legault et de GM. Ce sera bon pour les PME québécoises, a répété plus d’une fois sa présidente, Marie Lapointe, notamment à la radio de Radio-Canada. On se demande comment Mme Lapointe réagirait si une PME d’ici comme Taiga Motors, qui peine à assurer son financement à long terme, annonçait sa fermeture…
À une autre époque, on vantait également la présence d’une autre usine que GM possédait au Québec. On rappelait l’importance d’assembler des automobiles dans la province pour assurer la survie des petits équipementiers locaux. Ces automobiles, c’était des Chevrolet Camaro et des Pontiac Firebird. Pas exactement les voitures les plus vendues sur la planète.
Et on sait comment ça s’est fini.
Au moins, ce n’étaient pas des Hummer…
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.